Comment jouer le mur ? se demandent Bottom et ses compagnons du Songe d’une nuit d’été. Comment raconter une histoire (tell a story) en représentant les objets et personnages qu’on veut raconter ? Bottom allant dans les coulisses (un buisson dans les bois) se fait faire une tête d’âne par Puck. Et c’est bien une histoire sans queue ni tête racontée par des ânes à laquelle on assiste. Et voilà nos comédiens amateurs qui se prennent les sabots dans le tapis de mensonges d’une nuit pleine de symboles qu’ils aimeraient ordonner pour leur gloire d’histrions. Et quoi de plus symbolique qu’un mur qui sépare deux amants. Et quoi de plus beau que la fin d’une histoire lorsque le mur abattu rassemble les amants. Et si on est là, présent, narrateur et acteur d’une histoire si édifiante, on est le héros qu’embrasse à pleine bouche la vérité toute nue. On tient en vainqueur l’histoire par le bout de sa queue. Celui qui sait raconter l’histoire est celui qui se la fait au final. La politique n’est-elle pas l’art du story telling ? Mais l’art est un mensonge vrai, et pour cela il faut être artiste. Ceux qui, aujourd’hui, jour de commémoration de la chute du mur, veulent nous raconter à leur manière la chute/élévation du symbole en l’incarnant par leur soi-disant présence héroïque au jour j et se prennent les pieds dans leur tapis de mensonges, me font irrésistiblement penser à Bottom et ses amis pieds-nickelés. Si ce n’était que théâtre, c’est-à-dire du réel distancié, cela serait drôle. C’est hélas du réel bien banal que l’Argus des médias répercute en échos au quatre coins du monde. L’histoire de compagnons de réelle politique qui ne savent comment faire pour sceller leur personne bien vivante dans le mur de l’histoire, et qui pour cela n’hésitent pas à opérer quelques trous de mémoire dans leur agenda personnel à la date du 9 novembre 1989. Il ne faut jamais manquer de lire Shakespeare par le filtre politique. Il nous raconte des histoires qui ramènent toujours aux temps de notre histoire.
Pour le plaisir, et rien que le plaisir, voici donc un extrait du dialogue du mur dans le Songe :
LE MUR
Dans cet intermède, il arrive
Que moi, dont le nom est Groin, je représente un mur,
Mais un mur, je vous prie de le croire,
Percé de lézardes ou de fentes,
À travers lesquelles les amants, Pyrame et Thisbé,
Se sont parlé bas souvent très intimement.
Cette chaux, ce plâtras et ce moellon vous montrent
Que je suis bien un mur. C’est la vérité.
Et c’est à travers ce trou-ci qu’à droite et à gauche
Nos amants timides doivent se parler bas.
THÉSÉE Peut-on désirer que de la chaux barbue parle mieux que ça ?
DÉMÉTRIUS C’est la cloison la plus spirituelle que j’aie jamais ouïe discourir, monseigneur.
THÉSÉE Voilà Pyrame qui s’approche du Mur. Silence !
Entre Pyrame.
PYRAME
Ô nuit horrible ! ô nuit aux couleurs si noires !
Ô nuit qui es partout où le jour n’est pas !
Ô nuit : ô nuit ! hélas ! hélas ! hélas !
Je crains que ma Thisbé n’ait oublié sa promesse !
Et toi, ô Mur, ô doux, ô aimable Mur,
Qui te dresses entre le terrain de son père et le mien,
Mur, ô Mur, ô doux et aimable Mur,
Montre-moi ta fente que je hasarde un œil à travers.
Le mur étend la main.
Merci, Mur courtois ! Que Jupiter te protège !
Mais que vois-je ? je ne vois pas Thisbé.
Ô méchant Mur, à travers lequel je ne vois pas mon bonheur,
Maudites soient tes pierres de m’avoir ainsi déçu !
THÉSÉE Maintenant, ce me semble, c’est au Mur, puisqu’il est doué de raison, à riposter par des malédictions.
PYRAME, s’avançant vers Thésée. Non, vraiment, monsieur ; ce n’est pas au tour du Mur. Après ces mots : m’avoir ainsi déçu, vient la réplique de Thisbé ; c’est elle qui doit paraître, et je dois l’épier à travers le Mur. Vous allez voir, ça va se passer exactement comme je vous ai dit. . . . . La voilà qui arrive.
…
PYRAME, collant ses lèvres aux doigts du mur.
Oh ! baise-moi à travers le trou de ce vil Mur !
THISBÉ, collant ses lèvres de l’autre côté.
C’est le trou du Mur que je baise, et non vos lèvres.
PYRAME
Veux-tu me rejoindre immédiatement à la tombe de Nigaud ?
THISBÉ
Morte ou vive, j’y vais sans délai.
LE MUR, baissant le bras.
Ainsi, j’ai rempli mon rôle, moi, le Mur :
Et, cela fait, le Mur s’en va.
Sortent le Mur, Pyrame et Thisbé.
THÉSÉE Maintenant, le mur qui séparait les deux amants est à bas.
DÉMÉTRIUS Pas de remède à ça, monseigneur, quand les murs ont des oreilles.
HIPPOLYTE Voilà le plus stupide galimatias que j’aie jamais entendu.
THÉSÉE La meilleure œuvre de ce genre est faite d’illusions ; et la pire n’est pas pire quand l’imagination y supplée.
QUE RAJOUTER DE PLUS !
MERCI DE NOUS AVOIR OFFERT CET ECLAIRAGE
BELLE PLUME,
Jean-Marc GALTIER
J’allais oublier : questions de murs questions d’hommes…
Connaissez-vous cette histoire, vécue et écrite au début du XXème, à l’Est du Mali, par le philosophe Tierno BOKAR, surnommé le sage de Bandiagara ?
Bone lecture…
PERLES DE SAGESSE
« Les oiseaux blancs et les oiseaux noirs »
Les hommes sont les uns par rapport aux autres,
comparables à des murs situés face à face.
Chaque mur est percé d’une multitude de petits trous où nichent des oiseaux blancs et des oiseaux noirs.
Les oiseaux noirs, ce sont les mauvaises pensées et les mauvaises paroles. Les oiseaux blancs, ce sont les bonnes pensées et les bonnes paroles.
Les oiseaux blancs, en raison de leur forme, ne peuvent entrer que dans les trous d’oiseaux blancs, et il en va de même pour les oiseaux noirs
qui ne peuvent nicher que dans les trous d’oiseaux noirs.
Maintenant imaginons deux hommes qui se croient ennemis l’un de l’ autre.
Appelons les Youssouf et Ali. Un jour, Youssouf, persuadé qu’ Ali lui veut du mal, se sent empli de colère à son égard et lui envoie une très mauvaise pensée.
Ce faisant, il lâche un oiseau noir et du même coup, libère un trou correspondant. Son oiseau noir s’envole vers Ali et cherche pour y nicher, un trou vide adapté à sa forme.
Si de son côté, Ali n’a pas envoyé d’oiseau noir vers Youssouf, c’est-à-dire s’il n’a émis aucune mauvaise pensée, aucun de ses trous noirs ne sera vide. Ne trouvant pas à se loger,
l’oiseau noir de Youssouf sera obligé de revenir vers son nid d’ origine, ramenant avec lui le mal dont il était chargé, mal qui finira par ronger et par détruire Youssouf lui-même.
Mais imaginons qu’Ali a lui aussi, émis une mauvaise pensée. Ce faisant il a libéré un trou où l’oiseau noir de Youssouf pourra entrer afin d’y déposer une partie de son mal et y accomplir sa mission de destruction.
Pendant ce temps l’ oiseau noir d’Ali, volera vers Youssouf et viendra loger dans le trou libéré par l’oiseau noir de ce dernier.
Ainsi les deux oiseaux noirs auront atteint leur but et travailleront à détruire
l’homme auquel ils étaient destinés.
Mais, une fois leur tâche accomplie, ils reviendront chacun à son nid d’origine car, est-il dit: « Toute chose retourne à sa source. »
Le mal dont ils étaient chargés n’étant pas épuisé, ce mal se retournera contre leurs auteurs et achèvera de les détruire.
L’auteur d’une mauvaise pensée, d’un mauvais souhait ou d’une malédiction est donc atteint à la fois par l’oiseau noir de son ennemi et par son propre oiseau noir lorsque celui-ci revient vers lui.
La même chose se produit avec les oiseaux blancs.
Si nous n’ émettons que de bonnes pensées envers notre ennemi alors que celui-ci ne nous adresse que de mauvaises pensées, ses oiseaux noirs ne trouveront pas de place où loger chez nous, et retourneront à leur expéditeur. Quant aux oiseaux blancs porteurs de bonnes pensées que nous lui aurons envoyés, s’ ils ne trouvent aucune place libre chez notre ennemi, ils nous reviendront chargés de toute l’ énergie bénéfique dont ils étaient porteurs.
Ainsi si nous n’émettons que de bonnes pensées, aucun mal, aucune malédiction ne pourront jamais nous atteindre dans notre être.
C’ est pourquoi il faut toujours bénir et se amis et ses ennemis. Non seulement la bénédiction va vers son objectif pour y accomplir sa mission
d’apaisement, mais encore revient-elle vers nous, un jour ou l’autre, avec tout le bien dont elle était chargée…
Tierno BOKAR. Texte écrit au début de ce siècle, à l’Est du MALI Au coeur de l’Afrique, dans la région de l’ancien empire Peul du Macina,par celui que l’on surnommait le sage de Bandiagara.