
Michel Rocard ce matin sur France-Inter. Nicolas Demorand: « J’aimerais que vous nous parliez du show de Ségolène Royal au Zénith. L’avez-vous vu? » Rocard: « Non, je ne l’ai pas vu. Mais parlons d’une chose qui me semble importante: l’ Europe ». Magnifique.
Nicolas Demorand l’interroge sur la lutte de conquête du pouvoir au parti socialiste. Michel Rocard: Hollande se serait représenté et on aurait réélu celui qui est secrétaire général depuis onze ans, on aurait parlé du parti socialiste comme un parti soviétique. Aujourd’hui que la bonne santé de ce parti s’affiche par la diversité des candidats, on parle de pagaille. J’aimerais que les médias cessent de dire des bêtises. »
Bien balancé.
A propos de l’économie et de la crise actuelle, il met les pendules à l’heure: « On parle de crise du capitalisme alors qu’il s’agit d’une crise générée par la malhonnêteté et la filouterie de banquiers qui ont abusé du système… Ce n’est pas tant le système qui est en crise que l’analyse du système. Les économistes se trompent car ils se basent sur des faux paradigmes. Ils faut interroger les outils de l’analyse. La médecine ne comprenait rien aux maladies du sang tant qu’elle n’avait pas découvert la circulation sanguine. »
L’outil est le concept, le concept, le verbe. Le placement, la précision, la justesse du mot, sobre malgré parfois des surgissements intempestifs d’emphase, subtil toujours, efficient. C’est cela, Michel Rocard. Impressionnant. A l’entendre ce matin à la radio, c’est un souffle d’air pur. Un air du grand large. Ce grand large où volent les albatros, éternels incompris du peuple des marins balancés par les flots du quotidien. Le verbe de Rocard nous vient de loin. D’une tradition perdue d’orateurs politiques. Il n’utilise pas le verbe pour communiquer, mais pour donner à penser. Ségolène danse, Michel arpente. Un géomètre, un penseur, pas un poseur. Rocard fait du bien non pas tant par ce qu’il dit mais par la manière vérace dont il aborde les questions, les donne à penser de façon politique. Il suppose toujours son interlocuteur intelligent, et ce faisant, le rend intelligent comme tout grand maître. C’est sans doute pour cela qu’il n’eut jamais accès au poste suprême. Son langage professoral qui introduit le doute, fait de lui un chef de paix alors que les Français élisent un chef de guerre.
J’ai de l’admiration pour ce monsieur même si je suis loin de partager tous ses points de vue. Ce n’est pas tant qu’il me convainc. Il me donne à penser, il alimente avec justesse la réflexion. Il a la classe. Une classe surannée. Il y a quelque chose en lui et en sa posture de paradoxal.
J’ai l’image de Rocard alors chef du P.S.U (Parti Socialiste Unifié) juste avant de rejoindre le Parti Socialiste, frayant droit la foule d’étudiants hirsutes jouant les barbares à barre à mine, et à l’occasion « casseurs de fafs d’Assas », allant se poster sec et raide face à la houle, nœud papillon en bataille. Il était à la barre, navigateur du verbe. Il ne calmait pas la vague, mais il la dominait, y laissant son sillage. J’étais encore adolescent et me souviens d’un être, pour moi, totalement paradoxal. Le P.S.U. organisait tous les ans sa fête à la Courneuve, à deux pas de mes fenêtres, faisant un peu d’ombre à celle de l’Humanité. Cette fête était frappante pour son aspect libertaire. Surréaliste aussi. Comme dans le fameux déjeuner sur l’herbe de Manet, des femmes entièrement nues se promenaient au milieu d’une foule habillée. On a du mal à le croire aujourd’hui. Et c’est ce petit homme sec, raide et digne qui en était le chef. Je le vois toujours comme ces hommes élégants de ce tableau de Manet qui portent haut le verbe et la pensée sans dédaigner le corps et la bonne chère qui, en contrepoint, donnent de la chair à son discours. Il aurait quelque chose d’érotique ce monsieur là? Il faudrait demander cela aux filles.