Nous avons fêté mardi soir 17 mars, le 10è anniversaire du dictionnaire de la danse édité par Larousse, et son 10 000è exemplaire vendu. Belle performance pour un ouvrage de cette envergure et de ce poids (en mots, noms propres, noms communs, références, notions et concepts, en papier, en photos) et dont le sujet est la danse considéré comme un art majeur. Le succès de cet ouvrage prouve qu’il répondait à un véritable besoin. Et cependant, lorsque Philippe Le Moal, directeur de ce dictionnaire, s’est lancé avec 150 collaborateurs (parmi lesquels je me trouvais en tant que conseiller scientifique), cela paraissait une véritable gageure. Certains même y voyaient un luxe. Il y avait de la fierté ce soir là, dans les bulles de champagne, et Philippe Le Moal s’est vu décorer à l’occasion de l’insigne de Chevalier des arts et des lettres.
Il faut dire que nous revenions de loin. Lorsqu’en 1983, j’ai présenté à la Sorbonne ma thèse de philosophie intitulée « danse et philosophie », j’avais l’impression de naviguer dans un véritable désert, et mon travail était celui d’un archéologue, voire d’un épigraphiste déchiffrant dans les manuscrits les plus anciens le geste dansé par les labyrinthes du concept. Je faisais appel à Platon, Nietzsche, Bergson, Aristote, Plotin, Descartes, Heidegger, Hegel ou Diderot, ou Buytendijk, Merleau-Ponty ou Valéry pour les plus modernes. Mais il est vrai que ma tâche en eût été bien facilitée si je disposais d’un tel ouvrage. Cette thèse, il fut question de l’éditer, mais l’éditeur intéressé à l’époque fit marche arrière, considérant qu’au final, il y avait trop peu de lecteurs potentiels pour un tel ouvrage. Quelle avancée en à peine 25 ans ! Depuis fleurissent maints ouvrages et thèses consacrés à l’étude de la danse qui, il y a 25 ans auraient été regardés avec mépris car la danse n’était pas considérée comme un sujet digne d’étude, et pour un danseur, le fait d’être philosophe et parler de la danse, était suspect. Le succès de librairie que connait mon petit essai « je danse donc je suis », en dit également long sur ce changement d’attitude devant la réflexion sur la danse.
Je fus, à la fin des années 80, tuteur du mémoire de DESS de Philippe Le Moal qui me sollicita après avoir lu quelques uns de mes essais sur la danse, notamment « Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, une leçon de philosophie de la danse » paru dans la revue Théâtre-Public. Comme une boucle se bouclant, il me proposa plus tard d’être conseiller scientifique de ce dictionnaire dont je n’aurais, quelques années auparavant, même pas osé imaginer l’existence. J’y ai apporté ma pâte notamment sous l’aspect des notices sur les concepts et notions renvoyant à la philosophie ou à des philosophes et écrivains. Concepts tels l’espace, le temps, la forme, la motion, et des auteurs tels que Nietzsche, Valéry, Artaud, Diderot, Kleist, Brecht…
Ainsi, ce dictionnaire encyclopédique imaginé par Philippe Le Moal et réalisé sous sa direction, est-il un vrai outil de travail pour étudiants et chercheurs en danse, autant qu’un excellent ouvrage de référence pour les amateurs et curieux de cet art aux aspects multiples et à l’histoire dont la richesse se nourrit de la grande histoire de notre civilisation et de sa rencontre avec les autres.