Les migrants votent avec leurs pieds

Trouvé dans mes archives, un article sur les migrations que j’avais écrit en 1993 dans Africa International, suivant le rapport du Fonds des Nations Unies pour la Population. Il est toujours intéressant de retrouver des articles oubliés et de voir à quel point les politiques sont en retard sur les alarmes émises par les experts des diverses intitutions, relayés par les médias. Les médias semblent également amnésiques oubliant vite leur propres alarmes pour se faire l’écho immédiat des politiques qui semblent souvent avoir découvert l’eau tiède et se positionnent en retard sur des urgences annoncées des décennies auparavant. Dans cet article, le mot de mondialisation n’est pas prononcé, et pour cause, le terme n’était pas encore médiatisé, mais il s’agit bien de ça. Autre chose: à la veille la journée internationale des femmes, et des débats suscités par le port du voile, la burqa et autres modes de minorisation de la femme,  il est intéressant de noter ici le rôle primordial qu’elles jouent dans la question des migrations.

LES MIGRANTS VOTENT AVEC LEURS PIEDS

L’Etat de la population mondiale, le rapport 93 du Fonds des Nations Unies pour la Population.

Présent‚ comme chaque année par le Fonds des Nations Unies pour la Population, le rapport 93 se penche tout particulièrement sur le  problème  des migrations tel qu’il se pose aujourd’hui, avec acuité‚ depuis la fin de la guerre froide. Il note que la pression démographique mondiale est amenée à se renforcer et qu’au cours des vingt prochaines années, nous allons assister à des migrations massives et cela , malgré le fait que les pays occidentaux consacrent aujourd’hui 7 milliards de dollars par an à la résorption de ce problème et qu’ on assiste aujourd’hui à une légère réduction des inégalités de croissance entre le Nord et le Sud. En effet, de 73% du PNB mondial attribué‚ aux pays riches en 1989, nous sommes passés à 65% en 1993, soit une réduction de 16%.

On estime, par ailleurs, à 1,7% par an la croissance démographique mondiale, ce qui portera probablement la population mondiale, de 5,57 milliards actuellement, à 6,25 milliards d’habitants en l’an 2OOO, et à 11,6 milliards en l’an 215O, seuil projet‚ de stabilisation.

Quant à l’Afrique, elle est en train de battre des records de croissance démographique, puisqu’ elle devrait passer de 7OO millions de personnes actuellement à 1,6 milliards – soit plus du double –  en l’an 2O25, c’est à dire demain.

Le FNUAP estime que 95% de la croissance démographique mondiale est imputable aujourd’hui aux pays en développement  et que ce déséquilibre   constitue un des principaux facteurs des migrations internationales.

Cette croissance  est, selon cet organisme, un facteur d’aggravation de la pauvreté et non, comme on pourrait le penser un élément de développement potentiel. Car ce n’est pas une croissance maîtrisée. Il y a donc un distinguo à faire entre croissance et dimension de la population, en termes de développement économique. Dans les pays en développement, la demande d’emploi se développe beaucoup plus vite que le marché du travail, ce qui est une des causes d’ ‚migration massive.

La pandémie mondiale du SIDA peut-elle être un facteur de réduction démographique? Le FNUAP estime que, malgré l’ampleur du drame, cela n’aura pas une portée statistique déterminante puisque l’Afrique, le continent le plus touché, devrait atteindre en l’an 2OOO une croissance démographique de 1,8%.

Par contre, la dégradation de l’environnement devrait être une cause beaucoup plus certaine d’influence sur des tendances démographiques.

La désertification, l’érosion des sols, les inondations, l’élévation prévisible du niveau de la mer dû, selon certains scientifiques, au réchauffement de la planète, obligeant les habitants des zones sinistrées à fuir leur lieu d’habitation, tout cela peut fortement aggraver le phénomène de migration international.

Ces populations rurales migreront vers les grandes villes du Sud et du Nord, ce qui renforcera le phénomène des mégalopoles. On estime que d’ici l’horizon 2OOO, la moitié de la population mondiale vivra dans les villes et qu’il y aura 5 mégalopoles  de plus de 15 millions d’habitants dont 3 dans les pays en développement.  Tout cela risque de poser de sérieux problèmes de développement économique et social, avec, très certainement de nouveaux paramètres inédits à gérer et des situations on ne peut plus explosives. Si donc le phénomène de migration mondial continue de s’accentuer, cela risque, selon de FNUAP, de constituer une véritable menace pour la communauté internationale.

Mais quelles mesures adopter? N’y a-t-il pas là, dans les causes de migration, des facteurs purement liés à la modernisation générale de la planète? La distinction entre ville et campagne, par exemple, pour des raisons liées à la modernisation des moyens de communication; télévision, radio et facilité des voyages,  se fait plus fluctuante.

« Exposés à des horizons plus vastes qui leur donnent une autre idée de leur avenir possible, note le rapport, les ruraux sont devenus plus tributaires de centres urbains d’achat et de vente de biens et de services et, à bien des égards, ils font déjà partie du monde urbain ». Leur déplacement vers les zones urbaines rencontre donc de moins en moins de barrières physiques ou psychologiques.

Il est important à ce sujet de bien avoir conscience que les migrations humaines sont d’ abord l’expression collective de millions de décisions individuelles et familiales comme le rappelle ce rapport. C’est donc au niveau de l’environnement individuel et familial qu’il faut chercher les solutions à ces phénomènes de masse. Mais il est clair par ailleurs que le ressort du mouvement migratoire se trouve dans la pauvreté et l’insécurité‚ bien que, sauf en cas de crise politique et écologique, les migrants ne sont pas les membres les plus pauvres de leur communauté. Ces membres migrants s’avèrent assez bien renseignés sur leur destination, généralement volontaires et débrouillards, ce sont souvent des individus ayant un rôle actif au sein de leur groupe. Leur départ contribue à affaiblir encore plus leur communauté d’origine. Ce simple constat pour nous rappeler que le phénomène migratoire n’est pas seulement un phénomène d’invasion des régions favorisées, mais une vraie nuisance causée aux régions d’émigration. La cause psychologique liée à l’angoisse du manque de perspective à long terme, à l’ennui et au désespoir régnant dans certaines campagnes est aussi à prendre en compte. Si, comme le précise le FNUAP,   les migrations ont toujours été avantageuses sur le plan social et économique pour toutes les personnes concernées, il n’en reste pas moins qu’elles créent un certain traumatisme lié au déracinement. L’émigration apparait pour beaucoup de familles comme le dernier recours, la solution de la survie du groupe, un espoir de jours meilleurs. Et il n’est pas rare de voir des familles prendre la décision d’envoyer leurs jeunes chercher des ressources dans d’autres régions. Une étude montre que les fonds  que les migrants internationaux envoient chaque année à leur famille restée en arrière s’élèvent à 66 milliards de dollars et se placent, en valeur, au deuxième rang de l’économie mondiale après le pétrole. Leur montant dépasse toute l’assistance au développement venant de gouvernements étrangers. Mais il apparait aussi que ces fonds n’apportent finalement qu’assez peu au développement de l’économie globale des pays d’origine de ces migrants.

Pour apprécier l’ampleur du phénomène migratoire mondial qui pourrait devenir  » la crise humaine de notre époque », il est important de savoir que le nombre de migrants internationaux est estimé à 100 millions d’âmes, soit presque 2% de la population mondiale vivant hors du pays de naissance.

Il est faux de penser que cette migration se polarise du Sud vers le Nord.

Non seulement une bonne partie des migrations se situe à l’intérieur même des pays du Nord, mais depuis la fin de la guerre froide et depuis l’apparition de nouvelles puissances économiques du Sud Est asiatique et du moyen orient, on voit se multiplier à l’Est et à l’Ouest les nouveaux pays d’immigration.

Un autre préjugé dont il faut se débarrasser pour mieux apprécier la nature de ces migrations : elles ne sont pas uniquement le fait des hommes. Près de la moitié des migrants sont des femmes. Elles constituent ce qu’il est convenu d’ appeler  » la migration invisible » à cause du fait que les politiques d’immigration continuent souvent à considérer que les migrants sont des hommes et que les femmes sont à charge. Elles constituent aussi près de 75% de la population mondiale des réfugiés (6O à 80 % de ménages de réfugiés ont pour chef une femme) et une partie importante des immigrés clandestins. Les femmes, dans la migration, prennent en fait leur destin en main. Elles n’émigrent plus seulement pour suivre leur mari, mais pour chercher du travail. Les causes de leurs migrations individuelles sont bien sûr multiples, mais on peut noter que, notamment en Afrique, la perte de leur conjoint pour cause de SIDA  entre en ligne de compte. C’est un facteur important de déstabilisation des familles, donc d’émigration. – L’étude estime que 10 à 15 millions d’enfants dans le monde pourraient, d’ici l’an 2000, perdre leurs parents à cause du SIDA -.

La situation des femmes dans la migration n’est pas tellement plus enviable que dans leur pays d’origine. Elles sont souvent considérées par leurs employeurs comme une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci. Sans compter qu’elles sont très exposées aux viols, à l’exploitation sexuelle et aux mauvais traitements en tous genres.

L’amélioration de la condition des femmes dans leurs pays d’origine apparaît donc comme une des clés de la limitation du phénomène migratoire.

Certains pays comme l’Algérie, la Bolivie, le Brésil, le Pérou, l’Egypte et la Zambie commencent à se rendre compte qu’il importe de mettre fin à l’inégalité‚ entre les sexes et d’ouvrir plus aux femmes l’accès aux ressources économiques, comme, par exemple, la propriété‚ des terres.

Ainsi, la dignité‚ de la femme comme celle de l’homme au sein de son groupe et de son pays doit être au centre de tout dispositif visant à ralentir le phénomène migratoire. Telle est, en partie, la conclusion du rapport de la FNUAP qui préconise les mesures suivantes:

-Dispenser des services sociaux aux zones rurales, notamment en matière d’éducation, de santé et de planification familiale.

-Dans les zones urbaines, s’intéresser de plus près aux infrastructures et aux services dispensés aux pauvres, encourager la croissance des petites et moyennes agglomérations par des interventions en matière d’ emploi, d’ éducation et de promotion sociale qui favorisent l’équilibre entre l’urbain et le rural.

– Les nations industrialisées doivent tenir compte des répercussions que leurs propres politiques économiques, commerciales et en matière de développement ont sur les migrations internationales.

La responsabilité des mouvements migratoire doit donc être, en matière politique imputable à l’ensemble des pays concernés. Il est clair que les migrants « votent avec leurs pieds » et dénoncent par le mouvement, un échec en matière politique, économique et sociale.

Les auteurs du rapport sont très clairs en l’occurrence lorsqu’ ils affirment dans leur conclusion : « L’environnement juridique et politique doit permettre à ceux qui sont au bas de l’échelle de mieux maîtriser leur propre vie. »

Alain Foix

AFRICA INTERNATIONAL

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