
C’est ici qu’il est né au tout début du siècle dernier, en 1918, et c’est ici au début de ce siècle, un jour de septembre 2012, que ses cendres ont été répandues dans la mer selon son souhait. Il s’appelait Samuel Archimède et c’était mon père.
Ce lieu, c’est à Petit-Canal (Guadeloupe), en prolongement des fameuses marches de l’esclavage où les Africains capturés étaient débarqués au Nord de l’ile pour couper la canne.
Comme c’est drôle, c’est ici même, il y a près de trois décennies, que j’ai écrit ma première nouvelle dont voici un extrait:
« Des cascades d’eau de pluie dévalent les marches mille fois lavées. Une rangée de cocotiers court mollement vers la jetée comme les notes mouillées d’une triste mélodie, comme une longue portée de chants déportés. Et je ne sais pourquoi, descendant l’escalier, je me dis, titubant, que vraiment, alors vraiment, je hais le rhum et je hais la poésie. »

Comme c’est drôle, avant de retourner en ces lieux pour disperser ces cendres, j’avais en tête de rejouer du saxophone. Et, juste avant de prendre l’avion pour Pointe-à-Pitre, je suis passé rue de Rome, dans le quartier où je suis arrivé petit débarquant de la Guadeloupe, pour commander dans une boutique un saxophone ténor.
Comme c’est drôle, le soir de la veillée, le jour-même, à 7000 km de là, on me montre le saxophone de mon père et on me demande d’en jouer pour la cérémonie de dispersion des cendres. Alors j’ai pris ce vieux saxophone oublié, et j’ai travaillé un air que me permettaient ses quelques clefs encore valides: une adaptation à ma manière du 6è mouvement du Requiem de Mozart.
Et comme c’est drôle, peu de temps avant d’apprendre sa mort, j’avais écrit ce poème que je lui ai dit face à la mer:
SOMMES-NOUS
Sommes-nous la peau brulée du monde ?
Sommes-nous sa brulure même ?
Et si toute peau n’était que poésie ?
Une écorce à bruler.
Et si ce n’était l’eau mais bien le feu
Non pas noyés du temps
Mais bien son aliment
En sursis de la cendre
Pas dans le fleuve mais en la flamme
Jamais lavés mais consumés jamais sauvés
Etres en fusion sans rémission
Etre-là de la lave
Si l’existence n’était qu’essence
Un parfum délivré
Papiers de vie odeurs de temps
Un bouquet d’incendie
Et si la fin n’était qu’une faim ?
Ordre d’un désordre affamé
Qui n’a de sens qu’en consciences dévorées
L’appétit et son cri
Ni l’océan ni l’horizon
Ni les grands lacs apaisés de passion
Ni même la chute aux gouffres d’abandon
Ne valent consolation
Pour nous les voiles du temps
Alain Foix
Quel beau nom maintenant inscrit dans les cieux !
Paix à son âme et à ceux qui lui sont chers
Cela fait plaisir de pouvoir vous lire à nouveau
Affectueuses pensées