Danser sur le bord des larmes

 

« On n’a jamais autant dansé que dans les pires heures de l’histoire » écrivait Philippe de Félice dans L’ENCHANTEMENT DES DANSES ET LA MAGIE DU VERBE ». (Albin Michel, 1957) Aujourd’hui que le verbe a perdu son pouvoir incantatoire et sa fonction augurale, il ne nous reste plus qu’à danser. Alors, dansons maintenant.

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C’est sur le bord des larmes qu’on voit mieux le monde. Alors quelle France Mélenchon voit-il sur le bord de ses larmes dans cette invocation «Va la France, va ma belle patrie, travailleurs, ressaisissez-vous !» qui est une vraie supplique? Est-ce vraiment la mienne? J’aimerais, je veux vraiment le croire. Mais Chevènement aussi peut la faire sienne comme bien d’autres des bords les plus extrêmes. C’est vraiment là la question. Et l’émotion est-elle vraiment un moteur? Question subsidiaire, cependant nécessaire. Et pour rester sur la danse qui nous oblige à bouger lorsque le verbe nous abandonne, je voudrais citer le mot d’un grand chorégraphe disparu, Alwin Nikolaïs: « motion, not emotion ». Traduction: le mouvement est premier et l’émotion seconde. Le mouvement construit ce que l’émotion reçoit et exprime. Partir de l’émotion inhibe la motion, le mouvement et son sens.

 

Illustration de mes propos précédents: Un soir de mai 1980, j’invite Alwin Nikolais et les danseurs du CNDC à la Sorbonne dans le séminaire de philosophie esthétique et politique. Les danseurs ont fait monter les penseurs sur les tables. Grande première. La Sorbonne se penche sur la danse et la danse leur montre qu’elle pense, que les pas des danseurs, comme dit Paul Valéry, « rendent muettes les lèvres du philosophe » ou comment la motion précède l’e-motion, le geste est inaugural, et la pensée marche derrière en boitant, car le philosophe par nature boite, comme la dialectique. Au centre on aperçoit en blanc, jambe droite levée, Philippe Decoufflé, au premier plan Philippe Priasso, caché derrière Agnès, Dominique Boivin, hors champ Manuèle Robert, Cathy Vesque et bien d’autres. Au fond, moi-même en pull à damiers à côté de mon maître Olivier Revault-d’Allonnes. Et au-dessus de moi, en noir et bras croisés, mon ami de toujours, Jean-Baptiste Barrière (compositeur et artiste multimedia dont la femme Kaija Saariaho (compositrice) et son fils Aleksi Barrière (metteur en scène) présentent ce soir l’opéra « La passion selon Simone » à la basilique de Saint-Denis). Ah oui, 1980. Que s’est-il passé depuis 80? Il est encore temps de danser, de penser la danse, c’est à dire encore le corps réel et politique en mouvement, et la question de sa représentation.

 

 

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