Les boucles de Gerty Archimède

Les boucles de Gerty Archimède

Emotion ce matin. Je me suis rendu compte, en tombant par hasard sur une série de photos de ma tante Gerty Archimède qui remontent à 1936 alors qu’elle sillonnait la France pour faire des conférences sur la condition de la femme antillaise, que les boucles d’oreille qu’elle m’a léguées étaient déjà sur elle à ce moment-là et qu’elle ne les a jamais quittées, jusqu’à cet âge tardif où je l’ai vue pour la dernière fois dans sa villa de la Lézarde sur les hauteurs de Petit-Bourg, Guadeloupe. Elle est morte le surlendemain, le jour où elle m’avait invitée à déjeuner à Basse-Terre pour poursuivre notre conversation.

Ces photos d’archive en attestent. Ces boucles d’oreille qu’elle portait tout le temps étaient sa seule coquetterie. Elles devaient avoir pour elle une valeur inestimable. Peut-être léguées par sa mère ou offertes par l’homme qu’elle a aimé secrètement, ou peut-être encore ont-elles appartenu à Germaine, sa petite sœur qui s’est suicidée dans la Seine avec un enfant dans son ventre, cause d’un drame familial qui a des retentissements jusqu’à aujourd’hui. Et c’est moi maintenant qui les possède.

Du coup, ce sont les mains tremblantes que je suis allé ouvrir le coffret où elles se trouvent avant de les cacher en lieu sûr et inviolable.

Est-ce une part de mon inconscient qui m’a demandé de les accrocher aux oreilles de Marie-Noëlle Eusèbe qui jouait le rôle de Gerty dans ma pièce « Pas de prison pour le vent » lors de sa création ?

Quoi qu’il en soit, cette découverte si émouvante, me fait voyager à travers sa vie. Qu’est-ce qu’elles ont à me raconter ces jolies boucles en forme de croissant de lune ?

Beaucoup de grands personnages de ce monde ont chuchoté à ses oreilles et dîné avec elles. Je pense à Aimé Césaire, aux Guyanais Léon-Gontran Damas et Gaston Monnerville qui fut Président du Sénat sous De Gaulle, Félix Eboué, Angela Davis, Che Guevara, Maurice Thorez, ou encore à Houphouët-Boigny, ancien Président de la Côte d’Ivoire qui s’est rapproché au plus près de ces boucles pour lui susurrer une demande en mariage. Mais elle les a secouées de gauche à droite, ou plutôt de droite à gauche puisque c’était la direction de son engagement politique.

Ces boucles-là, je les collerai un jour à mes oreilles pour qu’elles m’en disent plus. Et qui sait, peut-être me souffleront elles la matière d’un nouveau roman ?

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