Je regarde s’étirer et s’échauffer les comédiens sur la scène de Soho. Des gestes comparables à ceux que feront tout à l’heure ceux qui joueront à Paris une autre de mes pièces. Des gestes d’athlètes, exactement comme autrefois les miens sur la piste d’un stade juste avant une course. Des athlètes affectifs, disait Artaud parlant des comédiens. La scène est une piste. Le corps doit répondre à la moindre sollicitation de l’esprit. Mais aussi, le corps chauffé et stimulé, prépare l’esprit à sa présence scénique. Présence : état d’être présent, ici et maintenant. Pas en deçà, pas au-delà du texte, juste dedans, dans son flux temporel, celui qui fait sens et qui s’incarne dans la vie d’un corps. Corps dont la plasticité fait circuler les mots dans la moindre de ses fibres et les expulse vers l’extérieur. Des mots chargés de toute la résonnance de l’être. Le corps est l’instrument en son entier. La voix est le médium. Certains s’échauffent comme des danseurs. Gestes moins saccadés. Un courant continu bien raccordé au souffle. Un souffle cherchant l’intimité, le lien de soi à soi. Les danseurs sont des acteurs qui ont fermé le goulot de la voix pour mieux faire circuler le texte silencieux du geste.
Une pensée me laisse rêveur : à Londres comme à Paris deux équipes d’acteurs se préparent à défendre de tout leur cœur, de tout leur corps, deux textes différents que j’ai écrit pour eux. L’équipe de Londres a ceci de différent qu’elle a encore besoin de ma présence, de mon oreille et mon regard avant la première. Bientôt, ce texte qu’ils ont incorporé, sera en leur possession, et j’en serai en quelque sorte dessaisi au profit du public. Le texte vivra sa vie. Les comédiens sont une espèce de pigeons voyageurs.