Trop de sexe dans mon jardin

Mon jardin est merveilleux, d’une fécondité rare et d’une activité sans pareille. La sève bouillonne aux premières caresses du printemps. Angiospermes ou plantes à ovaires, gymnospermes et spermatophytes sont en émoi. Bourgeons et fleurs turgescentes, pistils enflammés. Mon bananier rêve de bananes. Mon cerisier laisse choir sa robe immaculée à dentelles virginales en rougissant sous l’explosion de cerises vermeilles que les amants accrochent en boucles à leurs oreilles. Bourdons bourdonnants et abeilles butinant sous la robe sombre de mon épicéa qui fait gicler sa sève en abondance et qui n’en a jamais assez, ce pinacée qui jette incontinent sur l’herbe folle mêlée de fleurs sauvages un grand tapis de pines vertes et rousses.  Sous le bosquet de noisetiers à l’air timide qui borde un petit chemin sentant bon la noisette où je circule à bicyclette, il s’en passe de vertes et de pas mures. Suffit de l’observer. C’est le domaine des chats du voisinage qui en ont fait un lupanar au clair de lune et le terrain renouvelé de tous les enfilages à l’ombre complice d’une vigne vierge montée à l’assaut d’un mur décrépit. Leurs râles me crispent à l’heure même où j’écris. Il n’y a guère qu’au sein du mini marais que j’ai creusé au cœur d’un bosquet de bambous qu’on trouve, sous la surface sereine et lisse d’une eau limpide, des êtres qui semblent imperméables au vice. Ce sont mes 7 poissons qui dansent en mouvements lancinants mais chastes et que j’observe depuis tant et tant de temps en espérant y voir naître un enfant. J’ai laissé choir l’espoir. Ils sont 7 et resteront 7 jusqu’à ce que mort s’en suive. Il m’a bien eu, ce bougre de marchand aquariophile me refilant  7 mâles ou 7 femelles. Alors, dépité, mais bien rasséréné par les caresses mentales de l’eau, je me retourne vers mon figuier filou et fabuleux aux mille couilles charnues et chatoyant du vert au violacé. Il prodigue en abondance 3 portées de figues délicieuses par an. Que mon épicéa à la taille gigantesque ou mon beau cerisier veuillent bien me pardonner, mais c’est bien lui le roi, le magnifique figuier qui trône à l’entrée de la cour arrière. Ou plutôt, c’était, car il commit l’outrecuidance de balancer insolemment ses attributs sexuels devant les fenêtres vertueuses aux tulles toujours tirés  de ma voisine de derrière, une vieille fille noiraude et triste, déjà exaspérée sans doute par ces lascifs ballets de chats et chattes en chaleur, ces balancements crispants des angiospermes et autres gymnospermes, ces bouillonnements de sève. Trop de sexe dans mon jardin. Alors elle m’assigna devant un tribunal pour me contraindre à ôter de sa vue tout ce sexe qu’elle ne saurait voir. L’arrêt du tribunal est sans appel. Monsieur Foix est condamné à ses entiers dépends à couper tout arbre dépassant de deux mètres le haut du mur de madame X. Adieu belles figues dorées. Je dus t’émasculer, mon beau figuier en ce dimanche ensoleillé et froid. N’empêche, le printemps reviendra et avec lui la transe libidinale d’un jardin luxuriant. Rejets et sauvageons sortiront de plus belle et la triste voisine de derrière n’aura pour elle que ses prières.  

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