Tourisme et immigration

C’est l’histoire d’un gars, un flambeur californien, vie de bâton de chaise, portefeuille cossu et chemise hawaïenne, propriétaire d’une start-up à Silicon Valley, qui se crashe au volant de son cabriolet étincelant. Il se retrouve à la porte de Saint-Pierre qui, après lui avoir fait les remontrances d’usage sur sa vie débridée, lui accorde cependant l’entrée au paradis. Une semaine plus tard, notre flambeur revient rendre visite à Saint-Pierre et lui tient ce langage :

– « Saint-Pierre, dites-moi, c’est bien beau le paradis, mais on s’emmerde à cent sous de l’heure dans votre bled à regarder les angelots voleter autour de vous et les entendre chanter à longueur de journée des chants tellement sirupeux que même Céline Dion n’en voudrait pas. J’ai l’impression d’avoir une indigestion de marshmallows. Vous n’auriez pas quelque chose de plus sexy à proposer dans le coin ? »

– « Vous devriez essayer l’enfer, lui suggère Saint-Pierre, un saint sourire en coin. »

– « L’enfer ? C’est possible ? Je peux essayer ? Juste essayer ? »

– « Oui, c’est possible. Faites vos valises, allez y passer une semaine et on en parle à votre retour. »

Notre flambeur ne se tenant plus de joie, se jette en saut de l’ange au milieu de l’enfer. Il revient une semaine plus tard, bien bronzé naturellement, les cheveux en pétard et l’esprit enflammé.

– « Alors ? lui demande Saint-Pierre ».

– « L’enfer ? Mais c’est d’enfer ! Une semaine chaude, mais chaude, je vous dis pas. En plus j’ai fait la connaissance d’une diablesse qui pète le feu et avec qui je passerais bien un petit bout d’éternité. Vraiment, Saint-Pierre, je vous le dis tout net : c’est là que j’aimerais passer le reste de mon éternité, si évidemment je pouvais demander mon reste. Eh ! Eh ! »

– « Vous êtes certain ? Vous avez bien réfléchi. »

– « Sûr et certain, Peter, ça ne fait pas un pli ».

– « Eh bien ! Allez donc en enfer ! »

– « Merci Peter. »

Et notre flambeur de se jeter de nouveau à corps perdu (c’est le cas de le dire) et en saut de l’ange déchu, dans les spot-lights des nuits infinies de l’enfer. Et là, il connaît vraiment l’EN FER !!!

Au bout d’une bonne éternité, il arrive à s’en évader et revient complètement démonté, rampant et misérable aux pieds de Saint-Pierre qu’il supplie lamentable :

– « Saint-Pierre, je vous en conjure, dans votre immense bonté, reprenez moi. Je me suis trompé. C’est horrible, c’est infernal l’enfer. Je regrette, je regrette tellement, je veux revoir les angelots, manger des marshmallows avec Céline Dion, je veux rentrer au paradis. »

– « Trop tard mon vieux, trop tard. Vous avez fait votre choix. »

– « Mais comment, comment mon dieu, ai-je pu me tromper à ce point ? »

– Saint-Pierre, un saint sourire en coin: « Vous avez sans doute confondu tourisme et immigration. »

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Hier soir j’ai retrouvé Jérôme à Los Angeles. C’est un jeune à la vingtaine éternelle que j’ai vu naître à Bondy. Nous avons dîné ensemble. Son père, un vieux copain de post-adolescence, mais plus âgé que moi de 10 ans, fait partie de cette génération de Bondynois qui ont eu moins de mal que les générations suivantes à tirer leur épingle du jeu. 10 ans en ce temps-là d’adolescence généralisée, ce n’était pas une barrière entre lui et moi. Jérôme a volé à son père son grand sourire ineffaçable, et semble comme son père sauter allègrement avec moi cette barrière de générations. Il arrive au volant d’une mustang vrombissante, rouge pétard, intérieur cuir beurre frais, sièges baquet et tout le tsoin-tsoin. Bref, le rêve de son papa. Il vient d’acheter cette occasion de deux ans, flambant neuve, 15 000 dollars (10 000 euros), un prix ébouriffant. Il est accompagné d’une charmante jeune femme tout sourire, qui nous vient également du 93 mais qui, doit y retourner et laisser Jérôme à Los Angeles. Il a un contrat de 3 ans renouvelables dans une grosse boite internationale de jeux vidéo comme responsable marketing. Ses brillants états de service dans la filiale parisienne lui ont valu d’être envoyé ici pour organiser notamment une communication mieux adaptée à la culture européenne. Il est là depuis un mois. J’apprends par lui que Los Angeles n’est pas seulement la ville du cinéma mais aussi des entreprises de jeux virtuels et de tout ce qui est Entertainment. Jérôme estime être bien payé. Il semble heureux d’être ici. Après avoir avalé d’un trait les deux gros steaks que j’ai mis dans son assiette, il me propose un tour sur la freeway 101 pour essayer son bolide. Les mustangs sont les chevaux sauvages des indiens. Cette voiture porte bien son nom. Une puissance impressionnante hennissant sous un capot démesuré. Une accélération décoiffante, à couper le souffle, me colle au cuir du siège baquet. En une poignée de secondes nous avons atteint la vitesse limite autorisée. Bon, ne reste plus qu’à ralentir et accélérer de nouveau. En quelque sorte une suite de coïtus interruptus ou, si je puis m’exprimer de façon poétique, je dirais que s’il y a une poésie de la vitesse automobile, nous sommes contraints de faire des haïkus. L’œil soucieux, Jérôme regarde le niveau d’essence. « Qu’est-ce qu’elle suce ! » Oui, les 15 000 dollars du prix d’achat vont bientôt être doublés à grande vitesse en pleins d’essence. Petit bémol au bel enthousiasme. Nous parlons de la vie à Los Angeles. Je m’étonne de la gentillesse des gens, de leur politesse et de leur courtoisie, de l’organisation de la vie, des commerces et des services où tout semble organisé pour éviter le stress. Jérôme opine du chef, mais ajoute un nouveau bémol : « c’est surtout dans les boites de service où les gens sont payés à la commission et au pourboire qu’ils sont si souriants. »

– « On travaille beaucoup ici, me semble-t-il, dans ta boîte aussi ? »

– « Oui, beaucoup. Je commence à 9h et je n’ai pas fini avant 19h 30. A midi, on a une coupure de 5 minutes pour aller acheter individuellement un sandwich qu’on mange devant son ordinateur. Dans ma boite, ce qui m’a le plus étonné, est que le moment du repas n’est pas un moment convivial. On ne se parle pas, on bosse. On ne se connaît pas vraiment. On arrive au boulot et on ne se dit même pas bonjour. On repart et on ne se dit pas bonsoir. Boulot, boulot. »

– « Mais tu n’as pas de contact en dehors du travail avec eux, tu ne t’es pas fait d’amis ? Pourtant les gens me semblent assez conviviaux. Tu me dis que vous ne vous dites pas bonjour, cela m’étonne. Partout les gens me saluent, prennent du temps pour parler, répondre à mes questions. »

– « Tu as de la chance, peut-être parce que tu es en vacances, ou peut-être est-ce ce quartier de Hollywood. Je t’assure, je n’ai pas la même expérience. Ca fait un mois que je n’ai pas vraiment parlé à quelqu’un sinon à mon amie. Les relations ici sont très superficielles. »

– « Même pas en-dehors, quand tu es en week-end ? »

– « Parfois on n’a même pas de week-end s’il faut bosser, et ce n’est pas compté en heures supplémentaires et en RTT. »

« Quelle productivité ! Je suis étonné que la France, avec son système social tellement plus confortable, ne soit pas finalement si en retrait. »

– « Détrompe-toi, nous sommes à la ramasse et en recul, de plus en plus largués. »

– « Mais le système français n’a pas que du mauvais. »

– « Oui, c’est bon de pouvoir rentrer voir sa famille. La vie, ce n’est pas que le boulot, n’est-ce pas ? »

– « Combien as-tu de vacances par an ? »

– « 15 jours en tout et pour tout. »

– « Tu vas tenir le coup tout seul? Trois ans c’est long. »

– « Il faudra bien, et mon boulot est passionnant. »

Que disait Saint-Pierre ? Ne pas confondre tourisme et immigration. Oui, c’est bien ça. Ne pas confondre.

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