Lettre à Bernard Bloch à propos du « Ciel est vide »

SMS de Bernard Bloch ce matin sur mon portable : « aie confiance. Je crois que ce sera vachement bien. On a trouvé la scène 7. Ton ami le feuj. B. »

J’ai confiance, l’ami feuj. Tu fais un formidable travail avec toute ta belle équipe. Le ciel est vide prend forme comme j’ai pu le constater hier après-midi. Les images réalisées par Dominique sont superbes, les acteurs crèvent l’écran et le rapport entre les comédiens sur scène et ceux qui sont à l’écran soulève une profonde vague d’émotion. C’est encore plus beau que je l’aurais imaginé, parce que c’est réel et que ça fonctionne vraiment. C’est toujours étonnant de voir comment une idée de dramaturge mise en scène avec tout le talent d’un metteur en scène donne vie, corps et vérité à ce qui n’était encore qu’écriture. La chose, évidente pour moi dans le processus d’écriture, était bien loin de l’être dans sa transposition scénique. Tu l’as réussi avec brio et en sachant utiliser tout le talent des comédiens, du scénographe, des artistes de l’image et du son, et des techniciens dont tu as su t’entourer. C’est une équipe formidable, je dirais même exceptionnelle, et je suis vraiment bluffé par la qualité de ce casting. Chacun est juste et comme idéal à la place que tu lui as assignée. Philippe Dormoy fait un Shylock plus vrai que nature avec un humour de la désespérance qu’il semble puiser avec délectation du puits profond de la culture yiddish. Tu voulais à tout prix Hassane Kouyaté pour sa puissance d’acteur soulevant l’humus d’une profonde et riche humanité. Tu voulais un Othello ancré dans la terre d’Afrique, exempt d’une mémoire d’esclavage, mais profondément conscient de ce que ce fléau a causé comme bouleversement et cicatrices profondes dans le continent africain.

Hassane Kouyate, Morgane Lombard, Philippe Dormoy
Hassane Kouyate, Morgane Lombard, Philippe Dormoy

Tu le voulais absolument crédible en général Maure, farouche et impressionnant mais aussi touchant et bouleversant. Eh bien tu l’as. Si Anne Sée, qui devait jouer Desdémone, a malheureusement dû y renoncer à son grand dam mais aussi au nôtre pour des raisons de calendrier (elle joue au même moment Madame de Sade au Théâtre de la Ville), tu as su trouver en Morgane Lombard une magnifique et très émouvante Desdémone à la féminité puissante et imposante qui apporte la couleur propre à sa personnalité de comédienne. Quant à Anne Azoulay, elle fait un travail formidable dans le rôle de Jessica. Comédienne intuitive, pleine d’une énergie adolescente emplissant sa jeune maturité d’une fraîcheur toujours renouvelée, sachant dans la vie comme à la scène user d’un humour qui crée de la proximité tout en préservant sa part profondément farouche, elle sait tirer tout le parti de son personnage complexe, à la fois profond et léger. J’ai pu apprécier également la qualité de tes partenaires de l’image et du son. J’aime quand Dominique Aru quittant sa table de montage monte sur scène près de l’écran, et droite comme un i, pose avec tact et autorité sa frêle corpulence face à ton imposante carcasse, et discute avec toi de la cohérence et la pertinence d’une image dans son rapport à la scène et le projet de jeu que tu expérimentes. Elle écoute tes arguments, mais ne lâche pas un morceau de ce qu’elle croit vraiment jusqu’à ce que vous tombiez d’accord. Elle maîtrise complètement son domaine. On sent chez elle une connaissance et une réflexion approfondie sur la sémiologie de l’image. Elle enseigne aussi le cinéma, mais jamais on ne sent chez elle quelque chose de professoral, toute empreinte de la modestie et du doute qui sont les aliments des véritables artistes.

Anne Azoulay, Dominique Aru, Thomas Carpentier
Anne Azoulay, Dominique Aru, Thomas Carpentier

Je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de croiser dans ce studio Rodolphe Burger, ses yeux ligne bleue des Vosges, son corps de colosse de l’Est et son sourire affable teinté d’une perpétuelle ironie. On a très peu échangé, mais je sens entre lui et moi l’imperceptible complicité de philosophes qui prennent le risque d’être des artistes. Je ne connaissais pas bien sa musique, mais j’ai pu apprécier l’intelligence musicale qui sait préserver une autonomie sonore tout en s’inscrivant avec justesse dans le propos dramaturgique, scénique et visuel. Tout cela avec l’aide du discret mais efficace Thomas Carpentier, jeune ingénieur du son qui parle avec ses yeux. Autre sourire ineffaçable, celui de Didier Payen qui réussit l’extraordinaire d’allier en une seule personne une allure d’intellectuel et un comportement de manuel, ses mains immenses et puissantes de paysan d’Auvergne toujours en action qui semblent sans cesse accompagner une profonde méditation à la fois artistique et pratique. Sa scénographie est belle et juste, discrète et efficace.

Rodolphe Burger
Rodolphe Burger

J’aime le voir travailler en compagnie de Luc Jenny, le concepteur lumière tant ils semblent à la fois différents et complémentaires. L’un, Didier Payen, semble toujours regarder le sol. L’autre, Luc Jenny, les yeux comme des oiseaux toujours prêts à prendre leur envol, semble sans cesse scruter le ciel. C’est de là que vient la lumière et c’est dans la terre que s’ancre la scénographie de Didier le terrien. Un autre terrien au pas lourd et assuré, au geste précis, à la parole rare mais au regard et au sourire directs et francs, est Michaël Serejnikoff le directeur technique. Il a choisi l’ombre qui lui convient, beau ténébreux sans affectation qui semble toujours savoir qui il est et où est sa place. Sa place est fondamentale. C’est lui le charpentier de la structure.

L’artisan du fondement, l’Atlas par qui tout ce qui est debout sur scène doit passer pour être ce qu’il est. Et gérant tout ce beau monde et consignant avec une précision remarquable tous ses actes, toutes ses réflexions et tous ses déplacements, Paul Allio, l’assistant à la mise en scène. Ce roi du calembour et du bon mot, attaché à toi, Bernard Bloch, comme une ombre critique, un Jiminy Cricket, cache derrière une attitude d’ancien clown, une rigueur intellectuelle indéfectible absolument nécessaire à une telle entreprise.

Bernard Bloch
Bernard Bloch

Enfin, Charlotte Villermet la costumière à la fois joviale et inquiète, une inquiétude d’artiste fondée sur la rigueur que taraude le doute. Je n’ai pas encore vu ses costumes, mais je sais pour l’avoir vue à l’œuvre dans son travail de scénographe qu’ils seront justes et beaux et surtout qu’ils seront vrais, habillant la vérité des personnages.

Voilà ce que je voulais te dire, cher Bernard, cher ami feuj, comme tu dis. Hier je t’ai surpris à dire à mes côtés comme parlant à toi-même : « C’est la chose la plus complexe à mettre en œuvre que je n’ai jamais réalisée ». A moi maintenant de te rassurer : Tu y arrives avec brio grâce à ton talent, ta rigueur intellectuelle et ta ténacité.

Un commentaire

  1. Le ciel est vide, d’Alain Foix, est mis en scène par Bernard Bloch.

    Création du 2 au 19 octobre au Théâtre Berthelot, 6, rue Marcelin Berthelot 93100 Montreuil.

    Compter 2 minutes à pied depuis le Métro Croix de Chavaux.

    Réservation: 01 41 72 10 35

    Tous les jours à 20h30, le dimanche à 16h. Relâche le mercredi.

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