
Elle a des nuages dans les yeux. Elle les regarde depuis si longtemps. Une fascination qui remonte à l’enfance et qu’elle partage avec une grande partie de l’humanité. Qui n’a pas rêvé allongé dans un champ, la pâquerette au coin des lèvres, les yeux dans les nuages ? Mais Dominique, c’est différent, ce sont les nuages qui sont dans ses yeux. Elle n’en dessine pas les contours, ne leur impose pas son imagination, elle n’a aucun sens du commandement. Elle n’est pas le Jean-Christophe de Romain Rolland, cet enfant solitaire qui commandait aux nuages : « Il commandait aux nuages. Il voulait qu’ils allassent à droite. Mais ils allaient à gauche. Alors, il les injuriait, et réitérait son ordre. Il les guettait du coin de l’œil, avec un battement de cœur, observait s’il n’y en aurait pas au moins un petit qui lui obéirait; mais ils continuaient de courir tranquillement vers la gauche. Alors il tapait du pied, il les menaçait de son bâton, et il leur ordonnait avec colère de s’en aller à gauche et, en effet, cette fois, ils obéissaient parfaitement. Il était heureux et fier de son pouvoir. » Elle n’est pas celle qui dit comme Beaumarchais : « Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Non, elle accepte la nature même du dépassement. Les nuages, ces événements météorologiques laissent bien leurs traces en formes d’images dans nos yeux. Ces images là nous appartiennent. Nous en sommes responsables. Nous arrêtons les nuages en dessinant au ciel les formes de notre imagination. Mais ce faisant, nous les trahissons. Car leur nature n’est pas l’image mais le mouvement. C’est cela qui depuis l’enfance attire au ciel les yeux de Dominique : les mouvements des nuages. Mouvements qui laissent leurs traces au fond de nous, mouvements qui nous mettent en mouvement. Les nuages sont nos maîtres à danser. Leurs formes et leurs visages ne sont que des arrêts du temps, un temps qui est celui de notre durée, de notre manière forcément subjective de saisir les événements, de les saisir, de les prendre, les « com-prendre », les prendre en soi, se les approprier. Dominique est cinéaste, c’est-à-dire danseuse d’images car c’est le mouvement générant les images qui lui importe, et non l’image en soi qui n’est qu’une posture, une attitude comme on dit en danse d’un mouvement arrêté. Toute émotion dans une image vient du mouvement qui la génère et dont elle est la trace. L’émotion est mouvement, c’est-à-dire vie. C’est le théâtre d’abord, comme mouvement, comme expression humaine de la vie qui fut sa première expression. Mais les formes l’ont fascinée, les structures, l’espace, le point, le plan. Alors elle est entrée aux Beaux Arts où elle a vu la mort.

La mort comme pétrification de la forme par une pensée qui veut la dominer comme Jean-Christophe pense dominer les nuages. Elle a vu le concept cherchant à saisir la matière en une idée, le mouvement en une forme. « Le concept c’est la mort » dit-elle, et elle a fui l’hégémonie des nouveaux plasticiens sur le réel pour se réfugier dans l’image –mouvement du cinéma. Elle a fait l’IDHEC. Mais là encore, elle perçut que son attente était insatisfaite. Il n’y avait pas, dit-elle, d’apprentissage de la direction d’acteurs pour le cinéma. Or l’acteur est la matière première, celui d’où vient le mouvement. Aucun mouvement de caméra ne pourra remplacer le geste d’un acteur. Alors Dominique balance entre la scène et le cinéma dont elle connaît les langages différents. Elle a, à la place où elle est, cette juste mesure de leurs oppositions, des incompatibilités entre leurs mouvements et leurs images. Relier les deux en un même espace dramaturgique comme je le fais dans « Le ciel est vide » est pour elle une gageure et un enjeu dont elle mesure bien les difficultés et la nécessité. « Ca fait bouger, ça fait bouger le théâtre, ça fait bouger l’image » dit-elle, un nuage dans les yeux.