La critique d’Armelle Héliot (Figaro)

Quatre personnages en quête d’eux-mêmes

Etrange texte que Le Ciel est vide mis en scène par Bernard Bloch à Montreuil. Troublante réponse à une commande que celle de l’écrivain Alain Foix. Demande délicate, il est vrai. Bernard Bloch, comédien, auteur, metteur en scène et directeur du « Réseau », compagnie créée en 1996 et membre fondateur d’une coopérative de production artistique, a proposé à Alain Foix, grande figure de l’écriture caribéenne, de réfléchir à la question de « cette absurdité qui oppose aujourd’hui les noirs aux juifs ».

La saison dernière, au Lucernaire, on avait salué, dans une mise en scène d’Antoine Bourseiller, Pas de prison pour le vent, qui s’inspirait d’un épisode réel de la vie d’Angela Davis et célébrait une autre femme courageuse, femme politique de Guadeloupe. On pouvait imaginer qu’il irait vers une recherche documentaire. Et, il le reconnaît, c’est ce qu’imaginait aussi Bernard Bloch.

Mais Alain Foix s’est enfoncé dans le continent littéraire. Il est allé du côté de Shakespeare, chercher un noir, chercher un juif. Il a réveillé Othello et Shylock et a appelé auprès d’eux Desdémone et Jessica. La femme assassinée et la fille renégate. Il leur faudra du temps pour se retrouver. Exilés des pièces de Shakespeare, Othello et Le Marchand de Venise, ils semblent condamner à une éternelle errance dans un espace inassignable, un cercle indéfini de l’Enfer du regret, du ressentiment. « Une page blanche » dit Bernard Bloch. L’auteur, en écrivant ce double dialogue, propose une réflexion politique taillée dans une étoffe poétique.

Au Théâtre Berthelot de Montreuil, dans un espace imaginé par Didier Payen, qui enveloppe l’espace de jeu d’un tulle funèbre que le public doit longer puis franchir comme s’il traversait des portes qui conduiraient à un ailleurs dramatique, Bernard Bloch s’appuie sur les personnalités des interprètes mais aussi sur le très important travail d’images de Dominique Aru, cinéaste qui appartient à la même coopérative artistique que lui. Images projetées sur un vaste écran qui domine l’aire de jeu à cour, suivant le mouvement courbe du tulle, images mêlées, se superposant, se fondant les unes dans les autres, se confondant, mais rappelant aux protagonistes, Othello (Hassane Kouyaté), Shylock (Philippe Dormoy), les rumeurs du monde réel, de l’Histoire. Desdémone (Morgane Lombard) et Jessica (Anne Azoulay) semblent parfois plus lucides, plus près de leurs vérités. C’est la réunion des quatre « personnages » qui constitue le dénouement.

L’ellipse, les paroles dérobées, les pensées qui se cognent, le jeu feutré et sensible des quatre comédiens, tout contribue à donner une texture très particulière -un peu comme un tulle, justement- à cette proposition originale.

Théâtre Berthelot, 6 rue Marcellin-Berthellot, 93100 Montreuil (01.41.72.10.35). Jusqu’au 19 octobre.

Armelle Héliot, critique du Figaro
Armelle Héliot, critique du Figaro

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