De l’héritage d’une infamie

Voici un article de Toni Delsham qu’il vient de me faire parvenir. Toni est Martiniquais, écrivain, journaliste. Libre penseur. Ses interventions, souvent pertinentes, donnent toujours à méditer sur une situation complexe qui est celle de la société antillaise.

LA CONFRONTATION DIRECTE ENTRE BEKES NEGRES MULATRES EST-ELLE ENFIN ENCLENCHÉE ?

Martiniquais et Guadeloupéens sont des milliers à descendre dans la rue pour exiger l’augmentation de leur pouvoir d’achat quand le reportage de Roman Bolzinger de Canal + est diffusé sur les écrans télé. Jamais, journaliste ne pouvait trouver pareille audience. Ces brutales affirmations qui, sans doute aucun,  vont acculer le monde béké à faire entendre sa voix et ses vérités, vont-elles enfin conduire à cette confrontation martinico- martiniquaise, que j’ai toujours souhaitée car, me semble-t-il, indispensable pour l’amorce de solutions pour le futur. Voilà ce que j’écrivais dans Cénesthésie et l’urgence d’être, il y a quatre ans de cela.

« La racisation des rapports intergroupe à la Martinique  comme le démontre Juliette Esméralda Amon dans son ouvrage, suivie par ce qui ressemble à une dérive raciale, anti-mulâtre, anti-blanc, anti-kouli,   par les utilisateurs politiques  du concept de la Négritude, ont déjà rendu pareilles situations  dangereuses  et explosives, car portant en elles les germes d’une exclusion ou d’un repli   conduisant droit à l’affrontement. L’exploration interne de la Martinique traversée d’autoroute et désormais amputée  de poches de résistance, ne révèle  pas un pays déstructuré en attente du baiser, ou de l’épée, qui réveillerait la belle aux  bras dormants,  mais bien un  pays en formation stoppée et déchiqueté par des obus à tête chercheuse. La  mise en relation dominés dominants n’a pas obéi au schéma classique, à savoir : des  ressortissants d’un pays colonisateur imposés dans un lieu habité par un peuple identitaire et  d’origine que l’on se hâtait d’exterminer. Il y a eu brutale mise en présence, dans un lieu étranger, d’individus transplantés et disparates d’Europe et d’Afrique, déjà nourris l’un et l’autre par des matrices concurrentes, déjà adultes de souffrances communes, déjà forgés de guerres et d’épidémies, déjà illuminés de joies et d’espoirs. Mais, contrairement aux Amériques, la résultante ne fut pas l’apparition d’un peuple composite uni sous la bannière de la digenèse, comme aux U.S.A, comme au Brésil, comme en Argentine, etc. Dans la Caraïbe  le départ de la  métropole anglaise et de la métropole espagnole enclencha le processus de formation des peuples.   Le cursus très particulier des Martiniquais  est vide de l’action collective, situation   les   dressant les uns contre les autres, les  affaiblissant de douleurs rentrées et  partagées, dans la soumission et la fatalité,  ne les grandit pas d’actions  guerrières, les étourdit, au contraire, de l’écho de leurs propres lamentations,  les   contraint à la lecture de leur mal-être,  et non à la conscience de leur force. Pourtant les Martiniquais, tous les Martiniquais, ont soif de ne plus être   les bâtards que l’on n’attend pas. Ils ont hâte, quelles  que soient leurs convictions politiques, de signifier leur  existence, d’abord à leurs propres yeux, ensuite au reste du monde. Cette fois,  forts de ce que l’exploration interne leur a  révélé : En premier lieu, la nécessité d’une convergence d’intérêts qui passe par une normalisation des rapports entre les différentes composantes de leur personnalité, de leur identité à savoir : Négres, békés, mulâtres, koulis. Les instruments de cette normalisation peuvent, et doivent être les lois. Soient celles qui existent déjà dans le cadre français et européen si tel est le souhait de la Martinique, soient les lois que se donneront les Martiniquais, s’ils décident d’un changement  de statut. L’important est, que cette décision soit prise par un peuple guéri de toute schizophrénie, car  ayant stabilisé et intégré sa propre image.  En pays du métissage et de   créolisation accélérée, à cause du déséquilibre existant entre les ingrédients en concurrence, on ne saurait substituer au racisme blanc, un racisme noir avec comme victime expiatoire le … métis, le mulâtre. Il est fou de prétendre lutter contre le vent en niant éternellement notre réalité. Dès lors, que les éléments racistes  des héritiers du groupe des blancs  ne soient pas d’accord sur le discours du métissage et de la créolisation,  ou que ceux qui, parmi les héritiers des deux autres groupes,  autoproclamés légataires universels et exclusifs de l’esclave martyrisé, ne soient pas d’accord, eux non plus, importe peu. Le temps, à son rythme, fait ses affaires. Le François n’est qu’une étape de plus, un défi de plus, une ultime résistance des pesanteurs du passé. Hélas, avoir tant  tardé à poser le problème afin de le résoudre dans un franc débat martinico- martiniquais, a multiplié les quartiers clos,  à Trinité, au Diamant, mais cette fois  avec de la terre   apportée qui expriment une autre approche des conflits raciaux, car n’ayant pas l’expérience de plusieurs siècles de cohabitation tumultueuse, aux règles établies dans un tragi-comique ballet amour- haine, des descendants des immigrants du dix sept et dix huitième siècle. »

PLANTER LES INGRÉDIENTS DE LA CONVERGENCE D’INTÉRÈTS.

Si le reportage de Canal + permet le débat entre Martiniquais blancs et Martiniquais noirs, alors vive Canal+. Dans un pays né dans de telles conditions, je doute que la volonté d’épuration ethnique soit le souhait, ni pour l’un, ni pour l’autre. Le reproche de la Martinique du plus grand nombre n’est pas le François replié sur lui-même, avec une volonté affirmée de préserver une identité Martiniquaise plus proche de l’Europe que de l’Afrique, mais bien d’être le repère de ceux que Camille Chauvet appelle les héritiers du crime. Le dictionnaire précise qu’un héritier est la  personne qui reçoit ou qui doit recevoir des biens en héritage. Le même dictionnaire dit que  l’héritier est également le continuateur, le successeur. Et d’illustrer la définition par un exemple : les héritiers d’une civilisation. Jusqu’en 1848, les békés étaient tous des esclavagistes jouissant du système, donc acceptant d’être les héritiers d’une « civilisation ».

Après cette date quelques uns, extrêmement minoritaires, hommes ou femmes, refusèrent cet héritage. Ils, et  elles, furent bannis du clan. Alors, peut-être que l’héritier du crime est celui qui s’obstine à être le continuateur, le successeur de la « civilisation » des racistes et des esclavagistes. Comment  démontrer que l’on n’est pas l’héritier de la « civilisation » du crime ? Sans doute en courant le vidé du carnaval, en hurlant à s’éclater les poumons sur un stade, en cessant de penser qu’un béké peut   faire des enfants à une noire mais…  ne doit pas l’épouser, en n’exilant pas sa fille aux Etats-Unis parce qu’elle est amoureuse d’un nègre, en  ne  contrariant pas les projets de Dieu quand l’amour fait battre le cœurs des enfants noirs et blancs, blancs et noirs. Bref, vivre  normalement dans un pays normal.  A ce niveau-là, c’est vrai, il est urgent que les Békés communiquent sur leur passé, leur présent et leur futur. Car, je le répète la Martinique, département, ou autonome, a besoin de toutes ses forces vives unies dans une convergence d’intérêts.  En cas d’indépendance la question ne se pose pas, les nouveaux patrons établiront les règles du jeu.

Je crois.

Tony DELSHAM

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