Peut-être, me dis-je, que mon caractère indépendant vient du fait que je suis né un 4 juillet du côté des Amériques, mais cancer né sous les tropiques du cancer, vivant sous le 50° degré de latitude Nord, et pourtant casanier, je passe mon temps à remonter le temps, remonter en descendant vers ma source, en bas, saumon humain, voyageur pantouflard, plutôt pantouflard voyageur. Jamais en place et pourtant immobile. Les amis me disent qu’ils ne me voient pas bouger, et pourtant qu’est-ce que je remue. Je remonte le courant pour rester immobile. C’est un truc de famille. Ma grande tante Justine qui vivait à Saint Rémi les Chevreuse depuis l’âge de 40 ans, a plaqué son mari à son 100è anniversaire pour prendre, pour la première fois de sa vie, l’avion et retrouver son petit frère, l’oncle Félix qui bêchait encore son jardin sous le vent, ses grands yeux bleus plangeant dans la mer caraïbe comme tous les jours depuis 96 ans, et sa peau noire et lisse couverte de sueur faisant miroir au ciel. Elle est morte près de lui à l’âge de 106 ans et lui l’a suivi comme s’il l’attendait depuis toujours pour s’en aller ensemble. Ma grande-tante Emilie Perrinette que tout le haut de Basse-terre appelait Tata, a gardé sa jeunesse et peut-être même son pucelage pendant 77 ans puis décida d’entrer en vieillesse en se mariant avec Fanfan, le docker du Port, musclé encore comme un athlète malgré son litre de rhum quotidien, et qui lui faisait sa cour depuis plus de 40 ans. Une fois marié, Fanfan mourut d’une cirrhose. Peut-être avait-il atteint le but de sa vie. Tata le suivit peu de temps après. Elle s’ennuyait tellement sans son Fanfan, son éternel prétendant. Et puis, ma grand-mère Estelle que tout le monde du côté de Campêche, anse-Bertrand appelait maman Telle depuis que tout petit j’avais décidé de l’appeler ainsi. Rescapée d’une grande fratrie centenaire, elle souffla ses cent bougies aux côtés de sa petite soeur de 96 ans en récitant par coeur le plus long poème de la langue française: « la mort de Jeanne d’Arc » de Charles Péguy appris sur les bancs de l’école communale. Et mes yeux émerveillés voyaient bien deux jeunes filles qui récitaient par coeur leur si longue récitation, en un français éclatant ressorti sous des décennies de créole quotidien. Maman Telle pria alors quotidiennement le Bon Dieu qu’il vienne le chercher. Elle se sentait vieillir et ne supportait pas la vieillesse. Il vint effectivement le chercher après un an de prières. Alors, que sonne l’heure de mon anniversaire, peut me chaut, je reste immobile en écrivant dans le courant. Je bois et respire la langue française, j’y nage comme un saumon car c’est elle qui est la mesure du temps qui m’alimente et qui me porte. Je suis écrivain parce que je ne veux pas vieillir sans l’avoir décidé. Mon grand ami et néanmoins excellent dramaturge Jacques Guimet, me dit un jour alors que nous regardions ensemble depuis ma terrasse les rouleaux de la mer Caraïbe: « Alain, je crois que tu as un problème entre Prométhée et Epiméthée ». Je le regardai étonné et lui dis enfin: « Personne ne m’avait encore qualifié de façon si exacte ». Prométhée vole le feu et va toujours à l’avant du présent. Epiméthée, son frère jumeau, mari de Pandore, est au contraire celui qui remonte le temps, qui garde les valeurs anciennes, gardien de la tradition. Alors tous les 4 juillet, lorsque Pandore, qu’on appelait également Anésidora « celle qui fait sortir les présents des profondeurs » m’apporte son coffret cadeau, je fais le point et me demande où je me trouve encore exactement entre ces deux là.
Il y a en vous une volonté à n’en point douter et c’est surement ce paradoxe « devant-derrière » qui fait votre force. …Vous êtes ici présent et partout à la fois.
Pour ma part, j’apprécie votre REGARD intérieur, tendre et bienveillant, qui illumine votre écriture et il n’est pas rare de me voir sourire en vous lisant.
Vous avez l’art de dépeindre les sentiments.
Soyez assuré de mes lectures et JOYEUX ANNIVERSAIRE !
meilleures salutations
Merci beaucoup Emmanuelle
Alain Foix