Diversité, divers cités? Pour un théâtre de la complexité universelle

Armelle Abibou
Demain matin, 18 novembre, 11h au Lucernaire, c’est elle qui lira la femme de science Saartjie Vénus Baartman alias Vénus. Elle, c’est Armelle Abibou, jeune comédienne, stagiaire de la Comédie Française, bourrée de talent. Je pense qu’il est important de tout faire pour mettre en valeur la multiplicité des talents nouveaux. Je dis multiplicité car j’ai un vrai problème avec le mot diversité (Divers Cité?) qui ramène l’homme à un objet sur un étal de commerçant. Et puis rappelez-vous toujours que le divers en français a toujours un sens péjoratif et minorant. Par exemple divers gauche ou divers droite renvoient à des quantités négligeables sur la balance politique. Alors divers cité…
Avez vous remarqué qu’en parlant des noirs et des arabes, par exemple, on dit « issus de la diversité ». Ce qui veut dire que les blancs ne font pas partie de cette diversité des hommes.
Mon théâtre n’est pas un théâtre de la diversité, mais de la multiplicité et de la complexité des hommes pris de façon universelle, c’est à dire un par un dans leur complexe singularité néanmoins partagée. Il n’est pas plus de la diversité que ne l’était celui de Shakespeare. Auteur qui intégrait des personnages de diverses origines dans un théâtre qu’on peut qualifier de baroque. Baroque parce qu’il ne s’inscrit pas dans une unité centrale mais une pluralité d’unités et de points focaux acteurs du mouvement et de la dramaturgie. En cela, Shakespeare s’était créé un outil capable de rendre compte de la complexité de son temps et des hommes.
Il faut sortir des dramaturgies classiques dans lesquelles s’enferme souvent le théâtre français, pour créer de nouveaux personnages aptes à faire participer le public (la société) à sa propre réalité complexe et créatrice. C’est peut-être parce que je suis excentrique et excentré, marginal et périphérique que mon écriture pose naturellement le multiple et le complexe comme donnée d’une unité dramaturgique.
C’est pour ces mêmes raisons que je me méfie du mot identité qui renvoie en fait à la pensée romantique de l’unité d’un peuple (mot à prendre avec des pincettes car trop souvent utilisé dans son acception romantique et corollaire du mot identité). Unité qui, s’inscrivant dans une vision structurelle de la diversité, gomme en réalité la complexité intrinsèque de l’individu.
Pour avoir fait de longues études d’ethnologie, je sais de quoi je parle. J’ai étudié à Paris VII auprès d’éminents ethnologues qui, comme Robert Jaulin, s’inscrivaient dans une ethnologie militante. Ethnologie qui, prenant parti pour les populations qu’elle étudiait, se battait contre une ethnologie officielle et souvent structuraliste tendant à mettre les « peuples » sous des étiquettes bien confortables et classés sur le rayonnage de la « paix blanche » (un peu comme le font les tenants de l’actuelle « diversité »). Une paix issue du massacre de la multiplicité de l’humain au nom d’une certaine vision de l’universel.
Je dis « une certaine vision » car je ne remets pas en question la notion d’universel pour me rouler comme le font beaucoup dans la fange du relativisme qui fait taire tant de bien-pensants devant les horreurs de l’intégrisme et de la domination de la femme par l’homme.
Toute bonne pensée a ses déviances, comme le rituel juju dont il est question dans ma pièce Vénus et Adam est une déviance du vaudou. Penser réellement c’est ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ».
Ainsi le mot universel utilisé par les colonialistes du 19è et un Jules Ferry en particulier, est bien hérité du concept d’universel des Lumières. Mais il est aux Lumières ce que le juju est au vaudou: sa part maudite. Les Lumières, défendant l’idée révolutionnaire d’un individu citoyen et libre par nature et par sa complexité même, s’opposaient à l’absolutisme et au fanatisme. Pour tout dire à l’intégrisme et au totalitarisme. Diderot déjà, prenait parti dans le « Supplément au voyage de Bougainville » pour les habitants d’Otahiti (Tahiti) contre le prêtre missionnaire venu leur inculquer sa foi par la force.
Comme Diderot, je suis un libre penseur, et par ce fait mon théâtre met en scène la complexité d’un monde non réductible à sa résolution dramaturgique (ou idéologique). La fin n’est jamais une fin (en soi).
Vous en doutez? Alors venez demain matin 11h au Lucernaire.

Alain Foix

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