Heureux les simples d’esprit

Aujourd’hui, 31 décembre 2011. 11h30 à Sainte-Anne, Guadeloupe, 16h 30 à Paris. Mon année 2011 durera cinq heures de plus. Depuis ce balcon où un chapelet multicolore de boules de noël se découpe en grand sourire sur un ciel qui se fronce, je regarde l’arbre à pain, le goyavier et le manguier se balançant au vent qui souffle en rafales. Le temps, radieux ce matin, se dégrade en averse tropicale. Le ciel est bouché, mais pas tout à fait. Une mince ligne bleue se dessine déjà sur l’horizon. Dans quelques jours je serai de nouveau à Paris.
J’aimerais comme l’oiseau migrateur avoir le temps qui se lisse entre mes deux horizons. Que le temps ne soit qu’un dans un continuum reliant comme un pont ses deux rives, comme un arc-en-ciel ses deux bouts de ciel.
L’an dernier, à la même époque, je me préparais à monter cette pièce, Rue Saint-Denis, écrite à l’époque où je pensais encore que l’horizon final était celui-ci où jappent des chiens jaunes et chantent des coqs de midi sur les arbres à pain. Une pièce tout empreinte de nostalgie et où ma langue se créolise. Je l’ai montée, cette pièce, dans le théâtre, la scène nationale de Guadeloupe, dont 20 ans plus tôt j’avais signé le projet architectural. Je bouclais une boucle. J’en finissais avec la nostalgie. Je passais à autre chose. Mais quoi ? Cette pièce, une fois montée (et démontée) dort de nouveau en moi et joue en moi. Pourtant je sais maintenant ma distance avec elle. Je l’ai mise en scène et pour cela pris la distance nécessaire avec l’écrivain que je suis. Cette pièce fut de mon point de vue et de celui de quelques personnes, auteurs, comédiens, et metteurs en scène dont j’estime le jugement, une réussite. Mais quelque chose en moi dit finalement son insatisfaction. Peut-être celle propre à l’artiste. Peut-être pas. Je suis venu ici pour embrasser ma mère au dernier jour de l’an. Je sens que c’est aussi pour embrasser ma terre. Ma terre et ma mère se confondent dirait-on. Et je suis là à quelques heures du jour de l’an. Je rentrerai le lendemain et me demande, question idiote, sans doute : quel est le sens de tout cela ? Un sens qui s’inscrit d’Est en Ouest.
J’écoutais Trinh Xuan Thuan, hier dans la voiture à Pointe-à-Pitre. C’était dans l’émission le Grand entretien sur France-Inter. Ce grand astronome répondait aux questions de François Busnel : « Y a-t-il selon vous un sens à la vie ? ». « Certainement, répondit-il en substance, l’univers a créée la conscience et la conscience est l’instrument par lequel l’univers se voit et exprime son sens. » C’est exactement ce que je pense depuis longtemps. Notre pensée est le miroir de l’univers. Miroir par lequel il se voit. Nous sommes ses yeux. Chacun de nous. Le sens de la vie est aussi le regard que nous portons à la nôtre. Alors je cherche encore. Je cherche cette identité. Certains l’ont paraît-il trouvée d’emblée en levant leur drapeau, en vantant leur folklore. Heureux les simples d’esprit.

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