Voici un article de Françoix Xavier Guillerm sur la lecture de Duel d’ombres à Avignon, une interview et quelques photos:
Duel d’ombres
A l’instigation de Stany Coppet, Alain Foix a écrit une nouvelle pièce, Duel d’ombres, la rencontre entre le chevalier d’Eon et le chevalier de Saint-George. Découverte en Avignon.
Saint-George sorti de sa confidentialité toute antillaise fait une sortie magistrale en Avignon ! Après la rencontre du Juif et du Nègre, Shylock, l’usurier du Marchand de Venise, et Othello, le prince maure, dans Le ciel est vide, celle des deux figures de la négritude faite femme, Gerty Archimède et Angela Davisdans Pas de prison pour le vent, Alain Foix ose nous raconter en alexandrins rimés le moment fameux ou les deux chevaliers, d’Eon et Saint-George se rencontrent avant leur fameux duel londonien.
Cette fois, le Noir se confronte à celui qui a une autre identité sexuelle. Le chabin et le travesti. Ni Noir, ni blanc, ni homme, ni femme… Chacun est aux yeux de l’autre une apparence… Jeux de marivaudages, jeux de mots chargés de sens, dialogue léger abordant les profondeurs d’une réflexion sur la différence, « un monde où la surface est profonde… » « Ce sont des personnages majeurs, dit Alain Foix, qui ne sont ni l’ombre de Mozart, ni, dans le cas de Toussaint Louverture (autre héros noir exhumé par la dramarturge), celle de Napoléon 1er. »
Corps sage et corsage
Habilement, Alain Foix ne chante pas la douleur liée à l’histoire. Il trouve d’autres chemins pour raconter ce que ces gens avaient à dire au milieu de leur temps et ce que leur temps a à nous dire. Le texte est empreint d’une légèreté apparente, « très créole et qui cache une mélancolie, une désespérance », prévient l’auteur qui rêvait depuis longtemps d’écrire une comédie. Saint-George, le XVIIIe siècle, les lumières… Voltaire, qu’il faudrait faire taire, « une drôle de lumière sur la traite négrière », « un Mozart noir comme il se dit d’un chocolat blanc, mais en pire », même en alexandrins !

Anne Sée est le chevalier d’Eon, le Guyanais Stany Coppet est Saint-Georges. Dans cette mise en espace de Caroline Ducrocq, les deux héros sont l’affiche du duel du siècle. Le Nègre battra-t-il la femme ? La pièce relate ce jeu de dupés pas dupes. Soudain, entre deux mesure du concerto en la mineur de Saint-George, au paroxysme de l’action, un cri. Un cri créole. Le juron prend une étrange résonance dans cet aristocrate salon londonien… Les masques tombent… « Un esprit sain dans un corps sain », lance le chevalier d’Eon. « Un esprit sage dans un corsage », rétorque Saint-George affranchi ! Duel d’ombre n’était qu’en lecture publique. Un producteur était dans la salle… Duel d’ombres fera, on en prend le pari, un gros succès, pourvu que la France s’en mêle. Saint-George et Alain Foix méritent bien cela.
François Xavier Guillerm (France-Antilles)
Interview. Alain Foix
« Qu’est-ce qu’il y a derrière l’image
d’une femme, derrière l’image d’un
Noir ? »
Ecrire en alexandrin aujourd’hui, ce n’est pas banal…
J’ai d’abord écrit le texte en prose, mais je voulais quelque chose de musical, en vers en alexandrins. Mais surtout, je trouvais intéressant de resituer le chevalier Saint-George dans son temps. Je sais qu’au temps de Saint-George, à la fin du XVIIIe siècle, des gens comme Beaumarchais avaient déjà abandonné l’alexandrin, mais le propos était de créer de la distanciation, une forme de distance noble entre les deux personnages et entre les personnages et nous. Ca procure aussi un effet de distanciation théâtrale. Et puis l’alexandrin impose beaucoup de choses et c’est un jeu. A partir de cette contrainte, on peut nourrir beaucoup de choses. Je me suis rendu compte en ayant écrit le texte en prose, puis en alexandrin, que j’y découvrais du sens, des niches où je pouvais développer du sens par l’apport de l’alexandrin. Curieusement, je dis plus de choses dans l’alexandrin qu’en prose simple.
Saint-George était honoré le 10 mai dernier par le président de la République. Saint-George est à la mode ?
Vive la mode, si la mode porte Saint-George ! (rires)
L’an dernier, vous présentiez Le ciel est vide, la confrontation shakespearienne du Noir et du Juif par rapport à leur histoire, cette fois, c’est le Noir et l’homosexuel. C’est encore une question d’identité ?
Bien sûr, c’est une question d’identité, mais c’est d’abord une question de représentation. La question qui est posée est : qu’est-ce qu’il y a derrière l’image d’une femme ? Qu’est-ce qu’il y a derrière l’image d’un Noir ? Le chevalier d’Eon qui est, on le sait, un makoumè, peut très bien dire autre chose. D’ailleurs, il dit autre chose et il a l’image d’une femme. Et si on retourne la question sur l’image d’un Noir, le chevalier Saint-George répond : « Il n’y a rien, madame. Il n’y a que des idées. » C’est la question profonde du racisme. Le racisme est le fait de penser que derrière le visage de quelqu’un, il se trouve une pensée parce que sonvisage définit un caractère génétique et que la pensée serait inscrite dans ces gènes.
Un sujet grave et une forme légère, pleine d’humour…
Il y a des jeux de mos…. On est dans le XVIIIe siècle qui est un siècle à la fois léger et profond. Un siècle qui sait jouer de la légèreté pour renvoyer de la profondeur. Comme dit Nietzche, la surface est profonde.
La pièce sera-t-elle jouée chez Saint-George, en Guadeloupe?
Je l’espère ! En tout cas, j’ai pensé fortement à eux en écrivant cette pièce. D’aileurs, l’histoire du makoumè c’est très créole… C’est bien parce que c’est un créole qui l’a écrit !
Propos recueillis par François-Xavier Guillerm