« The ninety-three is cool!» C’est la soeur de Kasi Lemmons, la réalisatrice de cinéma, qui me parle ainsi. Je lui fais répéter plusieurs fois car je n’arrive pas à comprendre la phrase. Son sens m’échappe. Oui ninety-three, ça je comprends. On dit neuf-trois pour parler de ce département de la Seine-Saint-Denis, car c’est bien de ça qu’ils me parlent. J’ai réussi finalement à l’intégrer. Ils me parlent du 93 à Hollywood, dans ce restaurant très chic où nous dînons, et avec un tel enthousiasme ! Mais cool ? Cool ? « Yes, cool (elle me l’épelle) C-O-O-L, cool ! Vous ne connaissez pas ce mot ? ». Si, si, cool, bien sûr que je connais. Mais vraiment, je n’arrive pas à accrocher le mot cool à 93. « C’est bien ce que vous me dites, n’est-ce pas ? Le 93 est cool ? ». Ils hochent la tête. Je leur explique le mal que j’ai à attribuer le qualificatif cool à mon département, Bondynois que je suis. « Bondi-noir ? » « Non, Bondynois, habitant de Bondy. » A l’énoncé de Bondy, leurs yeux, sont comme des balles de basket. Les chercheurs d’or devaient avoir la même expression quand on disait Eldorado. Je suis sidéré, littéralement. Dans leur regard illuminé, je vois les voitures en flammes et ces images des événements de 2006 qui ont fait le tour du monde. L’homme qui me parle est le mari de Kasi, également réalisateur et producteur. « Kasi, me dit-il, est en train de faire un film dans cette banlieue. C’est difficile à cause de l’administration française, mais passionnant. C’est là que ça se passe. » Ca ? Il veut dire sans doute l’actualité, le lieu du mouvement. Il y a en Bondy et la Seine-Saint-Denis un mythe contemporain qui est en genèse de ce côté du Pacifique. Mais compte-tenu de la distance, la localisation n’est pas, c’est normal, très précise. « Bondy, c’est à côté de Versailles, n’est-ce pas ? » « Non, c’est diamétralement opposé géographiquement, politiquement et historiquement. Versailles c’est le passé et Bondy l’avenir. » A ces mots ils exultent et m’applaudissent. C’est exactement cela qu’ils voulaient entendre. Je les comprends, je suis d’accord avec eux. Il y a dans le 93, une matière humaine si riche, une matière inépuisable pour les films. Un nouvel eldorado du cinéma ? Le fait que Luc Besson est en train de promouvoir la construction en Seine-Saint-Denis d’un énorme complexe de cinéma, d’immenses studios, un Hollywood à la Française, me vient en écho à cette conversation. Les chercheurs d’or du cinéma sont à l’affut, et c’est à l’Est que se prépare la nouvelle ruée. Pourvu que le mythe comme ici construise sa réalité.