Citizen Kane

Au-dessus des masses populaires, des otaries rêveuses, des éléphants de mer affalés sur le sable et des écureuils voraces qui, de criques en criques mendient leur pain quotidien auprès des touristes amusés, s’élève loin des brumes océanes, sur des hauteurs inexpugnables, la fantastique demeure de Citizen Kane, l’original. Original, c’est peu dire que cet homme-là le fut. Mais il le fut à plus d’un titre puisque Mister Hearst, de son nom d’état civil, multimilliardaire et grand magnat de la presse, servit de modèle à Orson Wells pour créer le héros mégalo et génial de ce film sans pareil qu’est Citizen Kane. Multimilliardaire et magnat de la presse, tiens donc. Il semblerait qu’il ne fut pas seulement le modèle d’un génial inventeur de cinéma, mais de bien d’autres Kane bien réels qui, pris de la folie des grandeurs tentent de refaire encore de nos jours son geste insensé. Et si cet homme là avait lui-même un modèle, sans doute serait-ce Louis II de Bavière dont le château romantique ne souffre sans doute pas la comparaison avec ce château rococo d’un kitsch ébouriffant, mais partage avec lui tout un esprit baroque. Ce Hearstcastle qui domine la baie de San Simeon avec morgue et prétention est sans doute la meilleure expression de ce baroque américain qui s’inscrit dans l’acte de la reconstitution. Cet esprit là, on le retrouve dans une moindre mesure un peu plus au sud de la Californie, en plein désert de la Vallée de la mort dans le château nommé Scottish Castle, geste fou d’un autre magnat américain qui, à la fin du XIXè siècle, avait fait construire à 50° à l’ombre, dans la sécheresse et l’isolement le plus total, une réplique de château écossais. Mais ce château, le Heartscastle, présente en lui-même un sommet indépassable en la matière et c’est l’Europe entière, l’antiquité gréco-romaine, et un peu de l’Egypte ancienne, qu’il semble prétendre reconstituer dans cette folie perchée sur sa colline. Etonnant comme l’Amérique dans ses rêves les plus fous se tourne vers l’Europe pour projeter sur ses rochers amérindiens les traces passés du vieux continent. Comme si le rêve le plus fou était d’abord de se constituer une histoire en s’appropriant celle d’autres territoires. N’est-ce pas le même mouvement qu’on trouve dans les fantaisies de Walt Disney, ses fées et ses châteaux du moyen-âge? Etonnant aussi comme tous ces gestes isolés de ceux qui se projettent eux-mêmes dans l’isolement fascine et trouve au fond l’assentiment de tout le peuple américain. Comme si cette folie-là exprimait l’ordre d’une nécessité, et qu’il fallait ces illuminés, ces fous dotés d’une raison sociale, ces espèces d’artistes architectes de rêves collectifs, pour construire sur le vide du désert, de ces espaces immenses entre deux océans, un rêve ou s’accrocher, une histoire du monde, quelque chose de tangible. Notons que ces rêves de pierres ont quelque chose à voir avec le cinéma. Si le château de Louis II de Bavière fut construit avant l’irruption réelle de cet art de l’écran, c’est bien dans le théâtre de Wagner qu’il puisa son inspiration. Celui qui inspira le Scottish Castle ne fut autre que Walter Scott, non pas le célèbre écrivain, mais son homonyme, un charlatan et un escroc d’une mesure romanesque que seul le far-ouest a pu en concevoir, et qui fut un des compagnons de Buffalo Bill avec qui il fit ses parades au moment même d’expansion du 7è art. Hearscastle accompagne pleinement cette expansion et constitue en lui-même un vaste décor de cinéma. Ce n’est pas un hasard si l’on trouve parmi les invités de marque de son hôte les plus grandes stars de cinéma de son époque, notamment Johnny Weissmuller et Charlie Chaplin qu’on voit dans un film projeté dans la superbe salle de cinéma construite dans le château, faisant le pitre à côté de Citizen Kane alias Mister Hearst, magnat de son état.

Je quitte ce monde de rêves artificiels pour redescendre vers l’Océan, je suis la route de Jack Kérouac qui croise celle de Jack London et je rejoins Henry Miller à Big Sur. J’entre en pays d’écriture. Dans ce pays où des écrivains ont cherché un refuge pour fuir cette folie d’images et ce monde construit sur la maîtrise des artifices et de l’air conditionné. Pays du cheminement et de l’errance, de la recherche des vérités intérieures, et de l’esprit qui ouvre le dialogue avec une nature intouchée.

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