Ce n’est pas une ville, c’est une vague. Tout surfe ici et tout chaloupe. Vertige d’une rue qui plonge, un cable-car qui tangue, et des voitures qui dansent la danse des canards, une rue serpent qui plonge dans un parterre de fleurs. J’ai vu des goélands danser sur des toits de voiture, tous becs tendus vers un joueur de violons. Une folie douce parcourt cette ville de part en part. Seule l’antique prison posant son point de perspective sur l’horizon semble vouloir lester de plomb cette ville qui roule, balance et tangue. A Sausalito, quartier flottant sur la lagune, je trouve le calme d’une eau dormante sur un ponton qui amarre des maisons flottantes.
Une vieille dame arrose ses fleurs. Voilà qu’elle m’accoste et dit qu’elle joue du saxophone. En moins de temps qu’il ne me faut pour le dire, je suis dans sa maison. Elle me raconte sa vie. Son parterre est jonché de pelotes de laines multicolores. Elle fait des vêtements pour Ralph Lauren. Elle s’appelle Jeanne Lor,
elle est Luxembourgeoise d’origine, et son mari un ancien diplomate. Elle montre une photo de la Grande duchesse dont elle me dit être une amie, me présente ses chats, me recouvre d’un bonnet et d’une écharpe de laine offerts en signe d’amitié, m’embrasse en me mettant une rose à la boutonnière et me dit de rester en bonne santé et de revenir quand je le veux. Rencontre d’une demi-heure à peine qui restera plantée comme cette rose accrochée sur le cœur. Elle est charmante, elle a bien toute sa tête, mais son esprit artiste est comme cette ville, une vague libre, une vie qui roule dans l’instant, qui renouvelle l’instant et qui balance sur l’horizon. Une vie qui surfe. San Francisco est née sur un village qui a pour nom Yerba Buena. Sans doute les effluves de cette bonne herbe persistent dans l’atmosphère. Ce n’est pas une ville, c’est une vague, une vague psychédélique qui vous emporte malgré vous et qui vous berce d’une folie douce. Je quitte San Francisco avec un grand sourire béat. Ce n’est pas une ville, c’est un joint un peu dosé.