Beau comme un camion

Paris, 5h45. Mon corps s’est abonné à la même heure de réveil qu’à Hollywood. Décalé, sonné, k.o. debout, une baffe temporelle, un aller-retour. Et la même envie irrépressible d’écrire. Cela me vient souvent comme ça, l’écriture. Comme si elle était un polder (j’écrirais bien pôle d’air), une prise de terrain sur la mer. Aucune préméditation, érection matinale. Et la Californie qui court en moi, encore, toujours. Je reviens, je reviens toujours à mes premières et mes dernières amours. C’est ainsi que je suis, je ne lâche jamais prise. Si j’étais chien, je serais bouledogue, j’en ai peur. J’ai en commun avec nos amis à quatre pattes deux de leurs qualités essentielles : le flair et la fidélité. C’est peut-être elles qui me font écrivain. J’écris toujours à l’intuition et en aller-retour.

J’ai tant de choses à faire aujourd’hui, les deux pieds sur la terre si mouillée de Paris. Une nouvelle aventure commence à Montreuil à 10h tapantes : le chantier de création de ma nouvelle pièce « Le ciel est vide » mise en scène par Bernard Bloch. Toute l’équipe sera présente : comédiens, techniciens, scénographe, costumière, musiciens, cinéaste, scénographe lumière, relation publique, attachée de presse, administratrice, metteur en scène et assistant à la mise en scène. Une bonne vingtaine de personnes, tous présents, et moi je serai décalé. Et moi je serai là mais encore ailleurs. J’espère seulement avoir suffisamment de présence pour ne pas être trop étranger à mon propre texte. Je devrais m’en angoisser. Mais non, je suis là, les yeux ouverts, et j’écris sur mon blog des choses qui n’ont rien à voir. J’ai un roman en cours, j’ai aussi sur le feu une commande d’ouvrage importante et urgente.et un scénario de B.D. pour adulte. Je dois m’occuper de la reprise de « Pas de prison pour le vent », très bientôt, le 14 septembre à la fête de l’Huma. Ma pièce récente, « Duel d’ombres », lue à Avignon, demande qu’on s’en occupe. Mais moi, je suis là, les yeux ouverts à écrire sur mon blog. Les yeux ouverts sur quoi ? Sur un rêve. Sur une route qui défile, qui défile. La route 1, Road 1, celle qui longe les côtes de Californie. Ce n’est pas une route, c’est un tapis roulant, je dirais même, un tapis volant, volant au-dessus des côtes, au-dessus des falaises balancées de vertige et d’océan. Décollé de la terre, décollé du réel dans une de ces fabuleuses voitures climatisées et si bien suspendues, je suis Alain Baba au pays des hippies. On ne dira jamais assez l’importance de la voiture ici comme un outil de rêve. La voiture vole, nous sommes tous des Batman en puissance. J’y reviendrai sans doute. J’aurais tant de choses à dire là-dessus. Egalement sur les camions, les trucks, énormes machines roulantes et rutilantes à tête de chat. De véritables pumas sillonnant l’Amérique de part en part. Si « beau comme un camion » signifie quelque chose, c’est bien dans ce pays. Ces chats monstrueux exercent ici une séduction énorme, peut-être même au-dessus des bolides de tout genre. Je dois avouer que moi-même, je restais bouche grande ouverte, comme un enfant devant ces seigneurs de la route. La route, un film hollywoodien qui déroule sa pellicule lisse, soyeuse, et enserre le territoire comme un ruban autour d’un cadeau. Elle est aussi machine à rêve. Je l’ai rêvée, elle m’a rêvé, j’en rêve encore. J’ai tant de choses à dire, comme lorsqu’on sort encore tout étourdi d’un rêve tout en en couleurs. Mais c’est passé si vite. Trop de choses, trop de route avalée en si peu de temps. Je suis comme un camionneur. Lucide, mais hébété par le bitume. Je caresse un gros chat. Cat veut dire aussi musicien. Et Cat Stevens qui miaule dans ma cabine à rêves. Je roule, j’écris, je roule, et je déroule mon blog, au jour le jour, sans frein à mon plaisir et même sans rétention. Pourquoi écrire un blog ? Question toujours lancinante. Peut-être parce que je suis journaliste. Entendre d’abord ce mot au sens non professionnel : celui qui écrit journellement, au jour le jour. Je n’ai jamais tenu de carnet intime. Je n’ai pas goût à ça. Alors le blog est comme un substitut à cet épanchement matinal ou nocturne d’écriture sans aucun but qu’écrire, rouler du verbe, conduire du sens. Sauf que cela n’a rien d’intime. Alors autre question gênante : n’y a-t-il pas dans cet épanchement public quelque tendance obscène, exhibitionniste, narcissique ? Je ne crois pas, j’espère que non. J’écris pour dire, pour communiquer. Mais le blog, il est vrai, a cette fonction qu’a apporté le roman à la littérature : produire du sujet écrivant. C’est une toute autre fonction d’écriture qu’au théâtre par exemple qui est pour moi d’abord une poésie sociale et politique. Je hais cette tendance nouvelle au théâtre héritée des dérives du roman moderne de mettre le moi écrivain en scène. Bien sûr que dans l’écriture d’un blog il y a une économie libidinale comme dirait Marcuse. Il y a dépense, mais il y a don, désir d’échanger, d’ouvrir le dialogue. C’est là que le blog et la route se rencontrent. Le voyage est toujours partage d’une expérience personnelle. Toute la littérature le dit, et qui a voyagé sait qu’on ne peut séparer le dire, le conte, le rapport, avec le chemin parcouru. Je reviens sur la route, que j’écris, qui m’écrit. J’ai écrit sur le vif, à l’intuition, au jour le jour sans m’arrêter. Je ne suis pas revenu sur mes pas d’écriture. C’est un risque pour l’écriture elle-même de ne pas prendre le temps de se relire et de se méditer. Mais c’est le jeu du blog. Je suis persuadé qu’il apportera quelque chose à la littérature dans son immédiateté. C’est également un exercice formidable pour un écrivain, et je sais que cette lecture sur le pouce attire des lecteurs de plus en plus nombreux. Il y a ici une liberté qu’il n’y a nulle part ailleurs. Comme sur la route, on the road dirait Kerouac. Mais Kerouac était à pied, mais il a pris son temps, et moi j’ai filé à toute vitesse. C’est ça peut-être qui me travaille. Peut-être faudra-t-il que je revienne sur cette route, au moins mentalement. J’ai vu tant de choses, eu tant de sensations, ai tant de choses à dire que ne peut pas autoriser un blog. C’est ça. Ce que cette route m’a donné à écrire, je ne l’ai pas encore écrit, juste survolé dans ma voiture climatisée. J’y reviendrai peut-être quand la littérature aura ressaisi mon rêve et formulera ses exigences et aura pris mon temps.

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