Le festival dramaturgique de Timisoara produit par le Théâtre National a cette belle particularité qu’il offre un espace privilégié à des dramaturges plus ou moins jeunes pour présenter leurs œuvres à un très nombreux public. Œuvres mises en scène par des metteurs en scène confirmés, et non pas simplement lues. C’est, pour un auteur français, simplement incroyable par les temps qui courent. Imagine-t-on l’équivalent en France, la Comédie Française offrant une telle opportunité à des auteurs ? Des metteurs en scène mis au service d’auteurs vivants et non simplement à leur propre service. Prenant un risque de création qui n’est pas simplement de revisiter pour la énième fois un auteur mort, mais dire par la dramaturgie, l’écriture nouvelle, le fondement du théâtre, le monde d’aujourd’hui.
Ce festival a invité FENCE, un réseau international d’auteurs de théâtre dont je fais partie. Auteurs britanniques, palestiniens, suédois, américains, allemands, autrichiens, finlandais, turcs, africains ou d’origine africaine, maghrébins, suisses ou français (moi seul en l’occurrence) sont venus rencontrer leurs homologues roumains. Au cœur du théâtre, l’auteur (ça fait du bien) qui partage son expérience d’auteur avec d’autres expériences. Ce réseau informel qui s’agrandit à chaque rencontre d’Istanbul à Timisoara, de Londres à Paris pose le texte au centre. On se lit, on expérimente, on aide par la critique constructive une œuvre en chantier soumise à l’appréciation des collègues. On analyse collectivement les questionnements spécifiques concernant le statut des auteurs dans son pays d’origine. Parmi nous des comédiens, des metteurs en scène, des managers, des traducteurs.
La traduction, justement. Problème central. Faire connaître une œuvre par le sur-titrage comme c’est actuellement la mode, est très insuffisant. C’est ne pas prendre en compte le fait que le texte est d’abord une langue et non un ensemble de signifiés. Le sur-titrage ne montre rien de plus que le squelette d’un scénario. Roméo et Juliette dans la langue de Shakespeare ne se limite pas à l’histoire de deux jeunes qui s’aiment contre l’avis de leur clan. C’est oublier la part du poète, et mettre en évidence la seule fonction de mise en scène d’une histoire. C’est opérer une pseudomorphose du théâtre sur le cinéma. C’est oublier que le théâtre et le cinéma sont deux langages différents. L’un s’appuie d’abord sur le scénario comme construction d’une histoire, l’autre sur le texte, la langue et le dialogue. Le sous-titrage au cinéma fonctionnant quasiment plan par plan permet de traduire le sens en mettant en valeur au plus près du sens la langue originale de l’écriture et de l’acteur.

Ceci est impossible au théâtre où le sur-titrage demeure un pis-aller. Le rôle du traducteur devient alors essentiel. On imagine mal ne connaître Shakespeare que par les pièces sur-titrées. Il y a aujourd’hui un mouvement international d’auteurs qui, notamment avec l’action de FENCE et la complicité des traducteurs, rejoint l’action des associations nationales d’auteurs comme les Ecrivains Associés du Théâtre (dont en France je fais également partie) pour contribuer à remettre le texte à la place qui lui échoit au théâtre : le centre. Mais ce qui caractérise FENCE est que sa dimension internationale permet à chacun par la confrontation des ressemblances et dissemblances spécifiques des démarches, de se mieux comprendre soi-même et d’affuter ses armes dramaturgiques.

Mais aussi on rit, boit, mange, échange les impressions sur les mêmes spectacles, on fait la fête et danse. Bref, sortant de nos tables d’écriture solitaire, on vérifie qu’on est vivants. Oui, vivants dans le monde, avec le monde, le monde réel, le monde d’aujourd’hui, écrivant un théâtre d’aujourd’hui. C’est bien ce qu’ont compris les metteurs en scène roumains collaborant avec ce festival national. Ils pétrissent une nouvelle matière faite de l’écume de nos jours, et le public la mange comme du bon pain. Ca fait du bien.