Morgane Lombard, l’élévation absolument

Morgane Lombard
Morgane Lombard

Sagesse et passion se mêlent étrangement dans son regard et dans sa voix. D’elle, tout semble venir en ligne droite. Elle est frontale. Pas une esquive. Elle reçoit tout et elle prend tout. Etonnante facilité d’encaisser, surprenante aisance à rendre. Son verbe est souple et droit comme ses yeux noirs, étrangement noirs. Tout dans son visage et dans la nappe des cheveux flous qui flottent comme des nuages autour de ce visage tendrait à les dire bleus. Mais ils sont noirs, obstinément. Comme ce charbon de Rhénanie d’où elle est originaire du côté de sa mère. Ses yeux brûlants comme des galets de lignite noire rayonnent de la mémoire d’une guerre qu’elle n’a pas connue. Une mémoire sans cesse alimentée au jour le jour, depuis toujours. « Les enfants savent tout », m’assène-t-elle. Leur corps est conducteur, le courant continu. Même en silence ça passe. Les portes, même fermées à double tour sur la douleur et les larmes retenues par une digue de pudeur, de pudeur et de désir d’oubli pour vivre, tout simplement pour vivre, ces portes restent ouvertes à l’enfant, irrémédiablement. L’enfant sait car il est né pour savoir. Et savoir c’est transmettre, c’est transformer la douleur en connaissance en intégrant la co-naissance, la mémoire en histoire. L’enfant c’est la barque. La barque du rescapé. Celle qui traverse le fleuve. Enfin le traverser ce fleuve, fleuve de brume, fleuve de larmes, passer de l’autre côté du Rhin, un jour enfin. Cette brume infecte qu’elle co-naissait sans la savoir lui est montée à la conscience un soir devant l’écran de sa télévision. « Nuit et brouillard » y était diffusé, une vapeur méphitique envahissant soudain tout l’espace du salon. Elle a vu ça, ce qu’elle devait voir, absolument, comme des millions d’enfants. Nuit et brouillard comme une révélation, un bain révélateur, photographique, un bain d’identité. Identité en négatif accrochée à un fil dans une chambre noire avec tant d’autres négatifs.

Sortir du purgatoire et accéder au jour, passer au positif absolument, pour exister. Que dis-je pour exister, plus que cela : pour vivre. Alors elle se lève et elle danse. La danse, apprentissage du corps dépassant la souffrance. Morgane sourit me racontant ses cours de danse. Cette pianiste qui accompagne tout en lisant sur le journal des faits divers et la danse s’accélère au rythme des faits divers, au rythme des horreurs plus ou moins soutenables. Danser, tenir, ne jamais s’effondrer, élever le corps, élever l’âme, tenir la verticale, la colonne vertébrale. Se maintenir. Vital est le maintien.

Morgane Lombard

Et Morgane danse. Elle danse sa joie. Sa joie de vivre, absolument. Et elle est Desdémone qui remplit tout le ciel. Desdémone est une force, une force d’espérance jamais éteinte. Une colonne vertébrale. Elle est physique. Elle a la force d’Othello en féminin. Une féminité affirmée, jamais en négatif. Une féminité puissante, le pendant féminin de son viril amant. Le corps est l’âme. L’âme est le corps. Pas de bas romantisme en ce caractère là. En elle se combattent puissamment le bien et le mal, la face lumineuse et la face sombre de l’humanité. Elle est humaine, absolument. Elle conjugue les opposés pour dépasser l’histoire, monter sur la mémoire, s’élever par son épine dorsale. Desdémone, déesse et démone. Morgane s’arrête sur ce nom là composé d’opposés. Elle a conscience que cette opposition dans ce nom même suppose le dépassement, l’élévation. Alors Morgane danse. Elle danse Desdémone, et elle est Desdémone, l’élévation absolument.

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