Est-ce d’avoir vu hier soir à la télévision l’inénarrable feuilleton américain « Sex and the city » où un quarteron d’hurluberlues New-Yorkaises se débattent dans leurs (més) aventures truculentes, ou d’avoir lu dans Libération cette incroyable histoire d’un homme enceint pour la deuxième fois (en fait un transsexuel à l’origine femme qui veut faire des enfants) ? Toujours est-il qu’au terme d’une nuit passablement agitée dont je ne me souviens plus d’une bribe (hello Mr Freud !), je me suis réveillé avec un clitoris en plein milieu du front.
En prenant calmement mon petit déjeuner, œil noir reflétant ma question sur la surface lisse et noire de ma tasse de café noir, je me suis demandé ce que ce clitoris faisait sur mon front. Jolie réminiscence sans doute de ces pistils d’hibiscus qu’enfant de la Guadeloupe je me collais sur la tête en guise de furoncles de fée Carabosse. Il se dressait solitaire et insistant comme un point d’interrogation à la recherche de ses racines en plein cœur de mon cerveau encore baigné de brume.
« Drôle de chose, me dis-je rêveur, que cet organe si justement appelé clitoris (petite clef) par la sagesse des grecs. Un organe qui n’a pas son pareil dans le règne animal. » En effet, ce petit organe qui, à la loupe (acte à n’accomplir qu’avec le consentement express de sa propriétaire), ressemble étrangement à un phallus, ne semble pas avoir d’autre raison d’être que le plaisir, alors que tout organe a une fonction vitale dûment répertoriée. Est-ce alors à dire que le plaisir féminin serait de l’ordre vital ? Ici s’ouvre, en me grattant la nuque courbet, sous ma tasse de café, un abîme en forme de naissance du monde. Serait-ce la réponse à la question cent fois répétée de ce feuilleton féminin enflammé d’une Amérique folle de fantaisie aux jambes découvertes ? Sans doute.
Je regarde ma chatte endormie sur son coussin vert pomme près de ma bibliothèque, la queue appuyée sur le formidable roman de Robert Musil « L’homme sans qualités ». Elle vient sans doute de passer une folle nuit de sabbat au milieu de la jungle de mon jardin. Et pourtant je la plains. Avez-vous déjà vu le phallus d’un chat (je ne vous recommande pas de tenter de le regarder à la loupe) ? Eh ! bien, c’est un affreux instrument de torture. La chose est faite comme un grappin de pirate qui permet l’abordage en pleine mer. Une fois accostée et accrochée, la proie ne peut s’échapper car le grappin s’est ouvert à l’intérieur et interdit toute possibilité de fuite. Une amie vétérinaire m’assure que ça leur fait horriblement mal. Pauvres chattes. Soit dit en passant, appeler ainsi l’organe féminin, si ce n’est à cause de cette jolie forme triangulaire, me semble pour le coup totalement inadéquat, car celui-ci est muni de ce fameux organe de plaisir qui pousse sa question dans ma tête.
En réalité, et c’est cela le cœur de l’énigme, le sexe féminin est à l’organe viril ce qu’une décapotable est à un combi. Ce dernier intègre dans une unité aérodynamique plusieurs fonctions vitales, et le plaisir est l’expression de la pénétration de l’ensemble par ce drôle de capot qu’on appelle étrangement le gland (ce qu’on donne à manger aux cochons), tandis que son alter ego féminin laisse paraître de manière ouverte et séparée ses différentes fonctions à l’admiration du connaisseur. Au centre de cette ouverture, le clitoris qui s’érige au milieu des pétales ouverts comme le pistil d’un anthurium ou celui des hibiscus de mon enfance. Et c’est avec un plaisir tout enfantin que me je penche sans peur de retomber, mais avec un certain vertige, sur cette origine du monde.
Bien-sûr, me dira-t-on, s’il ressemble tant à un phallus, c’est du fait qu’il apparaît comme un résidu de l’évolution, une espèce de caput mortuum (horrible !), comme l’est le coccyx pour la queue perdue du singe que nous étions, ou l’appendice, organe rendu inutile, voire nuisible, par notre passage à la station debout.
Que nenni ! Le clitoris n’est pas un résidu de phallus, car il a une fonction propre, une raison d’être. Mais sa fonction est de ne pas avoir de fonction, précisément, sinon celle du plaisir. Le plaisir, une fonction ? Oui, messieurs, bien-sûr, mesdames. Et c’est bien lui qui rend la femme (en disant la femme, j’inclus l’homme n’en déplaise aux virilocrates) supérieure à l’animal, notamment à ma chatte qui dort auprès de « L’homme sans qualités ». Supérieure, mais aussi inférieure, d’une certaine façon, car le clitoris supplée ce que la femme n’a pas : l’instinct animal.
Ma chatte cherche à se reproduire malgré la douleur causée par la pénétration du mâle, car c’est son instinct qui l’y pousse, tandis que dans une situation historique où la femme devient l’égale de l’homme, si ce n’était le plaisir, qu’est-ce qui pousserait la femme à accepter la copulation ? Tant que l’homme, par divers stratagèmes sociaux, pouvait imposer son plaisir de manière unilatérale, le problème ne se posait pas (je veux dire, du point de vue de la reproduction animale). Je soupçonne d’ailleurs que la clitoridectomie pratiquée dans certaines sociétés, s’inscrit sur cette angoisse masculine de la possible égalité féminine face au plaisir, donc face à la reproduction. D’autant que cette égalité devient en fait une supériorité par la capacité interdite jusqu’alors à l’homme de la gestation.
Voilà qui nous ramène directement à la figure monstrueuse de cette femme qui s’est fait implanter un phallus en lieu et place du clitoris tout en ayant gardé, malgré son apparence aujourd’hui virile et son taux effarant d’hormones mâles, un utérus capable de procréer. Il-elle est enceint ! Dame nature ne sait plus à quels seins se vouer, elle qui, pour déjouer le manque d’instinct de sa pauvre créature humaine avait inventé le plaisir partagé souvent bafoué par l’homme lui-même et son monophalluthéisme érigeant ses obélisques en plein cœur de la place de la discorde.
Le discours de la journaliste de Libération qui rapporte ce fait divers me fait froid dans le dos et me glace telle une stalagmite en pleine érection au milieu d’une caverne. Ce discours con sensuel du relativisme décadent (je parle de la débandade généralisée de la pensée) où tout est dans tout et réciproquement, lui fait dire au nom de la relativité du sacro-saint désir : « Offrir aux gens le choix, c’est toujours mieux que les astreindre à accomplir leur devoir biologique… non ?« . Nom d’une pipe ! si je puis dire, « devoir biologique », voilà un surprenant oxymore car le biologique se moque du devoir, et le devoir comme dimension de la conscience morale ne peut être contraint par le déterminisme biologique. De l’art de dire n’importe quoi au nom de la liberté de penser n’importe quoi. « Offrir aux gens le choix », dans le supermarché du sexe, voilà le bon slogan. Choisissez à votre aise la marque de votre sexe. « Vous vous changez ? changez de sexe », dirait la marque aux mille montres qui se mordent la queue. Il y aurait lieu ici d’épiloguer tant ce type de bêtises offre d’ouvertures aux courants d’airs de la pensée. Mais je m’en garderai ici. Je m’interroge seulement sur la condition psychologique de la compagne de cet homme-femme qui elle, aussi, que je sache, est dotée d’un organe de reproduction. Pourquoi n’est-ce pas elle qui porte l’enfant ?
Pauvre clitoris ! Le voilà en face du plus mortel danger. Cet organe du plaisir se voit destitué de sa fonction vitale première par le cerveau malade de notre état de civilisation qui fait passer le désir de puissance de l’homme-femme (qui se prend, à l’égal de Dieu pour maître du destin) par-dessus le plaisir de nature. Et voilà la femme de nouveau bafouée. Et voilà le destin de l’homme suspendu aux caprices du désir de puissance.
Alors, je regarde en louchant ce joli clitoris poussé ce matin sur mon front soucieux et je me dis qu’il est sans doute le seul espoir de l’homme. A suivre… forcément.