– T’as une doublette ?
– Euh ! C’est quoi une doublette ?
– C’est comme une triplette, mais à deux branches.
– Ben… euh ! Non, je n’ai pas. C’est grave ?
– Ca ne fait rien, on va en piquer une à une compagnie, y en a tripette, des doublettes.
Et voilà Fabrice le régisseur qui pioche dans un tas de câbles jetés pêle-mêle sur le sol.
– Eh les gars, va falloir penser à finir de marquer votre matos. Tiens, Alain, pour toi ça va être orange et bleu. Voilà du gaffeur (et il me tend des rouleaux de scotch de couleur orange et bleu)
– Merci (je transpire à grosses gouttes. La chaleur matinale dans cette cour pourtant ombragée du théâtre du Petit Louvre sans doute, mais surtout le stress qui, malgré l’ambiance chaleureuse et bon enfant, court subrepticement sur toutes les échines. Allez, encore un verre de jus d’orange et trois tasses de ce café noir généreusement mis à disposition des compagnies qui s’apprêtent à partager la chapelle, grande salle de ce beau lieu d’Avignon off, pendant tout un mois)
– Et tes gamelles là ? C’est quoi ? (Il me montre les projecteurs que j’ai déposés à même le sol sous le gril disposé au-dessus de la scène et qui déjà s’habille de câbles et de spots)
– 3 mille et cinq 500 (ça, je connais, c’est la puissance des projecteurs que m’a généreusement prêté un théâtre parisien)
– Bon, alors faut y mettre les colliers et les élingues
– C’est quoi les élingues ? (zut ! encore collé)
– Les câbles de sécurité en cas de décrochage. Tu sais poser les colliers sur les gamelles?
– Ben… non
– Bon laisse, je vais faire. Tu as des gélatines ?
– Oui
– Quelles couleurs ?
– Bleu nuit, ambre, vert et rouge
– Tu les as là ?
– Euh non, je les ai laissées dans ma chambre. C’est urgent ?
– Pas grave, on verra ça le 2 juillet, au réglage avec Mr Antoine Bourseiller. Eh ! Quelqu’un sous l’échelle ! Faut pas le laisser seul perché là-haut. Maintenez-moi cette échelle !
Je jette un œil inquiet au technicien perché en haut de la grande échelle à une hauteur vertigineuse au-dessus de la scène. Il accroche un des multiples projecteurs personnels qu’ont apporté les compagnies pour compléter selon les besoins spécifiques d’éclairage de leur mise en scène l’ensemble mis à disposition par le théâtre. Tiens, justement, voilà Antoine Bourseiller qui vient vers moi, moustache frémissante, demi-sourire en coin. Sa silhouette légère se profile devant un de ces innombrables portraits de Gérard Philipe peints en fresque sur les murs de la ville et les cours des théâtres qu’il hante en fantôme bienveillant. Il semble heureux d’être là, toujours là, bien vivant, jeune, toujours jeune et encore en action dans ce festival dont il a, il y a déjà bien longtemps, essuyé les premiers plâtres aux côtés du fantôme bienveillant.
– Quel boulot ! me dit-il, admiratif en regardant l’essaim de techniciens en action. Tout est millimétré. Ca va être serré. Tu crois qu’on aura le temps d’installer et de défaire le décor en un quart d’heure pour laisser la place à la compagnie suivante ? Peut-être qu’il ne faudrait pas installer le sol en altuglas et jouer sur le tapis de sol noir.
– Oh ! non ! Ne me dis pas que j’ai trimballé depuis Paris ces 150 kg de lais d’altuglas pour rien. Et puis ce serait dommage m’insurgé-je.
– Tu as raison. On va essayer comme ça. Mais il faudra se faire aider.
– J’espère que la pièce ne va pas déborder l’heure et quart que nous avons annoncé. Je n’aimerais pas avoir à couper dans le texte. Ce serait un casse-tête.
– Non, ne t’inquiète pas, ça ira.
– Attendons de voir les répétitions.
– Oui, allez, on n’a plus rien à faire ici, on se revoit le 4 pour les premières répétitions.
Le voilà reparti de son pas étonnamment léger pour un homme de 77 ans. Il semble pressé d’aller retrouver à Arles sa fille Marie Sara, la fameuse toréra française, son autre bain de jouvence avec le théâtre.