L’initiative prise par Sarkozy-Besson de lancer un vaste débat sur l’identité nationale relève non seulement d’une grande perversité, mais qui plus est d’une escroquerie intellectuelle. Escroquerie car la particularité même du concept d’identité appliquée à un individu « je » ou à une communauté ou nation « nous » est que ce « je » ou ce « nous » ne peuvent s’identifier eux-mêmes. C’est l’autre qui nous identifie et c’est dans le regard de l’autre que se dessinent les contours de notre identité. L’identité est un outil de combat soit pour une minorité en regard du dominant, soit pour un camp en regard du camp adverse. Elle est ce qui nous enferme dans une posture définie en fonction de l’image qu’elle renvoie à l’autre ou qu’elle nous renvoie du regard de l’autre.
Il faut donc qu’il y ait crise pour lever la question de l’identité. Ainsi, poser le débat sur l’identité est, en soi, affirmer l’état de crise et créer nécessairement en face de celui qui cherche à définir son identité un autre, bouc émissaire dont la fonction est à la fois de justifier le sentiment de crise et de l’expliquer. Ce n’est donc pas une question critique sur soi-même, mais sur l’autre dans son rapport à un soi cherchant à se définir.
Outre le simple constat d’arrière-pensées politiques à deux pas des élections régionales, on pourrait aussi penser que nos dirigeants actuels ont lancé en période de crise une vaste opération de narcissisme national qui n’aurait finalement pour conséquence que de passer du baume devant un miroir tendu. Il n’y aurait donc pas de mal à se faire du bien comme dit la voix populaire. Hélas, c’est une erreur communément répandue que de penser que Narcisse est amoureux de lui-même. Non, il l’est de son image, et son image n’est pas lui mais une illusion, au mieux une projection. Narcisse est donc fondamentalement malheureux car il ne peut s’atteindre lui-même, et la surface de l’eau qui lui renvoie son image en miroir l’efface à la moindre caresse. L’image de soi n’est pas en soi mais pour soi, et fait de soi un autre. L’image n’est que le retour d’une expression. Retour comme Echo dont la mythologie dit qu’elle est amoureuse de Narcisse. Car elle aime celui qui lui ressemble, non pas physiquement mais ontologiquement.
La vérité est que l’identité est en soi une énigme. Elle n’a pas de définition, pas de clef, elle est un mot. Il n’est pas juste lexicalement de dire la clef, mais bien le mot de l’énigme. Et c’est le mot, le nom, seul qui identifie.
Etre identifié c’est être nommé, rien de plus, et l’on ne se nomme pas soi-même, sauf à être en crise vis à vis de son ascendance ou de son passé. Celui qui ne se connaît pas car il ne connaît pas son père, ni sa mère, passe devant le sphinx et découvre que le mot de l’énigme est « homme ». Faute d’avoir été nommé par eux et se reconnaître en eux, il tuera son père et profanera sa mère avant de se crever les yeux pour ne plus voir son image, car celle-ci devient mensonge flagrant, n’est plus en mesure de créer l’illusion de son identification en tant qu’homme.
Alors, il n’y a d’autre identité française que l’entité nationale qui vous définit français. A la question « qu’est-ce que l’identité française », il faudrait donc répondre : « être français ». Et qu’est-ce qu’être français sinon être nommé, identifié comme tel par l’instance qui vous dépasse car elle est autre que vous et antérieure à vous, et qui a la capacité comme vos parents, de vous donner un nom. C’est bien pour cela qu’une nation est, pour reprendre une expression de Barack Obama, « bien plus que la somme de ses parties ».
Or les termes de ce débat sur l’identité nationale semble présupposer que la nation française est la somme de ses parties se reconnaissant en elle. C’est cette vision qui appartient au nationalisme comme une des expressions du totalitarisme. Lequel fait de la mère patrie un monstre dangereux. Si ma mère qui me nomme ne suppose pas que je suis en soi différent d’elle, c’est une mère abusive et monstrueuse qui ne veut qu’elle pour seul horizon et qui, pour mon plus grand malheur fera lever en moi Narcisse tenant la main aveugle d’Œdipe.
C’est très bien vu, Alain, l’identité est une énigme dans lequel est bien tentant d’entrer, avec les outils de la philosophie pour ne pas se faire escroquer par une manipulation. Mais, je suis encore incapable de décider si le fait d’y entrer (et de mettre le paquet, comme vous montrez l’exemple, car il y a tant de bêtises sur ce sujet) est une entreprise nécessaire et utile ou si cela fait encore le jeu de ceux qui on allumé ce rideau de fumée.
Daniel Ramirez