J’ai pas fini mon rêve

Cette chanson, je l’ai chantée toute la nuit. Elle m’a tourné et retourné comme une crêpe entre mes draps, m’empêchant de dormir. Pourquoi celle-ci et pas une autre? Elle me fait pleurer comme un enfant, des larmes irrésistibles, et le jour levé, en plein midi, je pleure encore. Jean sera enterré dans quelques heures à trois jours du printemps.

Est-ce cette émission que j’ai regardée hier soir sur une chaîne publique? On y voyait des images oubliées, des journalistes tournant le dos à la caméra, ou bien restant dans l’ombre, une ombre pensante, sensible, intelligente dialoguant avec l’artiste qu’elle met à la lumière. Et au milieu de cette lumière, pas un visage seulement, pas un sourire seulement, une voix, un être, une sensibilité. Le noir et blanc peut-être a cette vertu sur la couleur, mais c’est sûrement qu’il ne s’agit plus de la même télévision, des mêmes artistes, des mêmes journalistes, une télévision à l’écoute de la personne, respectueuse de l’individu, même si en même temps elle était capable de la pire des censures. Ferrat, tu me fais devenir un vieux con avec cette nostalgie du noir et blanc.

Je dis noir et blanc, mais en réalité cela est faux, elle était bleue, comme l’ombre et la neige. C’est cet oeil bleu que j’ai vu pour la première fois dans le magasin de Continental Edison de Clignancourt clignotant dans mes yeux d’enfant lorsque je suis arrivé en ce novembre glacé de ma Guadeloupe natale. Ce bleu en plein hiver me ramenant là-bas.

Je me retourne dans mon lit et je me vois assis au bord de l’océan couché sous l’horizon comme un immense écran de télévision et je me vois chanter: « attends encore attends, j’ai pas fini mon rêve. » Et ma mère qui reprend la voix sucrée d’Isabelle Aubret qu’elle adorait, le double évaporé de cette mâle voix claire des profondeurs, comme elle chantait Joe Dassin ou Nana Mouskouri. C’est peut-être ça, cette nostalgie, celle de la voix d’un enfant et de sa mère se mêlant devant l’écran océanic de leurs dimanches de banlieue.

Monsieur Jean Cap Ferrat, toi qui t’es choisi un nom du bord de l’horizon, tu me fais pleurer comme un bébé. Et je te vois là dans mon lit ou à ma place au bord de l’océan qui dis à la mort tapotant sur tes épaules: « attends, encore, attends, j’ai pas fini mon rêve ». Et je comprends pourquoi je pleure. Ton rêve, c’est mien, le nôtre. Chacun un jour viendra à ta place sur cette plage déserte de notre vie chanter cet hymne à l’existence, à l’espérance, au lendemain qui songe. Tu laisses ta place à regrets, comme je te comprends, mais moi, mais nous, tous ceux qui rêvent et osent songer, sommes déjà là pour chanter ta chanson et pour finir ton rêve sans fin.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s