Le miroir du pénitencier

Ironiquement situé juste en face du pénitencier de Philadelphie, le musée Africain Américain se pose dans un angle de la 11è rue. Le titre m’a interpellé. Que peut-il se trouver de si particulier là-dedans? La manière dont il nargue cette prison est déjà tout un programme. On comprend qu’il inscrit l’histoire vivante dans le présent en marche. L’histoire, ce n’est pas simplement du passé mais bien une manière de signifier et comprendre les questions du présent. Il est clair que ce musée se pose en miroir du pénitencier, que le présent de celui-ci se reflète dans le passé que recèle les façades de celui-là. Je tourne le dos aux murs patibulaires de la maison d’arrêt et, traversant la rue, j’entre circonspect dans cet immeuble d’apparence à peine plus sympathique qui abrite le musée.

Un sourire chaleureux m’accueille. De vieilles dames noires aux cheveux gris me tendent un dépliant et m’invitent à entrer dans une pièce sur un mur duquel une étrange fresque où se découpent de célèbres visages, s’anime. Je vois des noms, des dates, des lieux. Une voix me raconte la longue et lente émancipation des noirs américains brisant le joug des discriminations raciales.

C’est un musée où l’histoire s’enrichit d’une mise en scène entremêlant des œuvres d’art et des installations inventives à vocation pédagogique. Des tableaux vivants s’animent lorsqu’on les y invite, et des personnages d’époque nous parlent de leur histoire. Oui, le tableau est vivant, l’histoire est vivante. Ces personnages du passé parlent aux présents depuis leur époque. Ils sont comme des cartes animées du monde d’Alice. Un forme de merveilleux qui nous parle d’une histoire qui ne le fut pas. Rien ici de triste ou de plaintif. Bien au contraire.

Tout ici est ludique et joyeux. Les enfants, on le devine ici, sont au centre du discours et des installations leur sont spécialement dédiées. Beaucoup de vieilles personnes aussi. On comprend la volonté de ce musée de nouer le dialogue des générations. Les grands parents parlent aux enfants, les enfants questionnent leur aïeux.

Je respire. Ce n’est pas un de ces musées mémoriels fait pour pleurer sur le sort de ceux « qui ont tant souffert » et qui se repaissent de leur souffrance. Non, il y a dans ce musée, à travers les vastes rampes qui relient en douceur un étage à l’autre, une déambulation joyeuse, quelque chose qui inscrit l’histoire en marche dans une dimension positive et optimiste. Le passé ne nous tire pas à lui mais nous pousse vers l’avenir. L’avenir au-delà d’Obama qui est une étape seulement, qui est loin d’être la fin de l’histoire. Beaucoup de responsables politiques comme l’actuel maire de Philadelphie, sont noirs. Mais les inégalités sociales persistent. Il ne s’agit pas de pleurer le passer mais d’agir en prenant pied sur les marches du passé. La grande salle tout entière consacrée à Rosa Parks et au fameux boycott des bus de Montgomery, nous indique le chemin.

A quand un tel musée en France concernant l’histoire coloniale? Cela serait sans doute nécessaire pour qu’enfin notamment les Antillais et créoles de France cessent de se lamenter sur leur sort de descendants d’esclaves et puissent, main dans la main avec ceux qui ne connaissent pas cette histoire et ne l’ont pas subie directement, enfin  imaginer un avenir commun.

Laisser un commentaire