Lost in Manhattan

Pourquoi j’aime tant la danse ? La photo ci-dessus n’offre certainement pas une explication suffisante. Certainement pas.

Accompagner une escadre de danseuses en plein milieu de Manhattan n’est pas de tout repos. Ca virevolte, ça s’éparpille, ça vole de boutique en boutique  comme une ruche d’abeilles ivres de pollen, ça s’égare, ça s’affole dans l’invraisemblable jungle de néons clignotants et d’écrans rutilants, véritable shoot d’informations futiles de Time Square, temple de la surabondance galopante dédié au dieu vorace de la nation yankee. Je m’assieds sur les marches en plexiglas rouge bonbon dédiées aux dévots de la grande consommation les yeux écarquillés, pupilles dilatées, baignées de l’horizon vertical des gratte-ciels totem qui laissent couler de haut en bas leurs cascades d’images dans un flot multicolore ininterrompu.

Espace psychotrope, hallucinogène. J’ai le vertige, au bord de l’overdose. Bonbon, rouge bonbon, vert, jaune citron, toutes ces couleurs qui me remuent,  le mal de mer. Où est le bastingage ? Une lessiveuse dans l’estomac. Pas mélanger les couleurs, pas mélanger, jamais. Dans le tambour tous ces bonbons. .. C’était incontournable qu’elles disaient. Il fallait y aller, et nous voilà traversant Manhattan pour nous engouffrer dans l’invraisemblable grotte aux gloutons, la caverne d’Ali Bonbon que constitue cette boutique nommée le Dylan’s candy bar. Dès l’entrée nous voilà accueillis par des fontaines de chocolat dignes d’une scène de Charlie et la chocolaterie. Des brochettes de marshmallows tenues par des maints expertes de 7 à 77 ans s’y plongent goulûment pour aussitôt, dégoulinant de chocolat, être avalées par des Gargantua et des Pantagruel de tout âge et de tous horizons.

Ca stalactite et ça stalagmite de partout. Pas un centimètre carré qui ne soit, du sol au plafond, recouvert de bonbons, de sculptures ou d’images de bonbons. Le cauchemar d’Hansel et Gretel. Fuyons ! Je profite de cette pause pour briser séance tenante un mythe persistant. Non les danseuses ne sont pas des oiseaux sans appétit, et non il ne faut pas dire « un appétit d’oiseau » lorsqu’on parle d’une personne qui mange peu car à vrai dire, si on observe bien un oiseau, on se rend compte que ça picore tout le temps. Les danseuses c’est tout pareil, surtout les américaines. Rien à voir avec les porte-manteaux faméliques des podiums de la mode.  Celles-ci marchent lourdement  malgré leur poids de plume, et leur expression est de plomb. Celles-là volent et rient et chacun de leurs gestes embrasse la vie. .

La vie et le plaisir du mouvement, c’est ça qui frappe de prime abord ici, bien plus qu’à Paris. La danse ici s’expose, elle prend l’espace, elle ne se confine pas. Elle est dans la rue autant que sur la scène. Il y a un dynamisme si particulier des danseurs américains qui est sans doute lié au fait que la danse n’est en rien réservée, elle est publique et se donne publiquement. Elle n’a rien à cacher. Et comme elle n’a rien à cacher, elle n’est pas pudibonde. Elle va même jusqu’à s’exposer en vitrine sur la rue. C’est l’image qui m’a frappée lorsque nous sommes arrivés à l’école d’Alwin Ailey. Une classe de danse dans un studio entièrement vitré donnant dans un carrefour sur toute la rue comme la boutique d’un grand magasin. A l’intérieur, un cours de danse, des danseurs concentrés ignorant les yeux qui les regardent.

Très étonnant pour des Français   habitués aux salles intimement fermées, repliées sur elles-mêmes comme la cuisine d’une maîtresse de maison jalouse de ses recettes. A l’intérieur de cette immense verrière, le même esprit que les studios de Philadelphie : de larges baies vitrées ouvertes aux regards spectateurs. Mon regard s’arrête médusé sur une brochette de magnifiques danseuses aux corps étonnamment dessiné, aux grâces de flamant  rose qui, comme la chose la plus naturelle au monde, vous font une pirouette, six petits tours sur pointe  et puis s’en vont.

Et nous voilà repartis dans Manhattan, en plein milieu de Central Park. Autour du lac, loin de l’agitation des foules et des néons affolés, sous le chant des oiseaux et l’œil curieux des écureuils, ça danse encore. Et moi, je suis lessivé.

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Je suis en train de lire votre « Toussaint l’Ouverture » en folio. C’est TRES bon ! L’un des meilleurs ouvrages sur l’émancipation, sur Toussaint sans aucun doute, sur le rapport blanc/noir. Bravo ! Vous avez un ton et un style excellents !
    Dommage que sur votre blog, on ne puisse pas trouver un mél de contact …
    Bon courage et peut-être que nos chemins se croiseront un jour ?

    Emmanuel

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