Il était un prince nommé Sotigui Kouyaté

C’était un prince. Pas besoin d’attributs, de titres ou d’oripeaux pour en être convaincu. Il le portait sur toute sa personne, dans tous ses gestes, en chacun de ses sourires. La grâce et la distinction faites homme. Au milieu de la foule, à Avignon ou ailleurs, sa haute silhouette se dessinait avec une netteté étonnante. Aucun bruit visuel, aucun espace parasite entre lui et le monde, comme un de ces portraits en pied où le sujet se détache  du paysage par le jeu de la couleur et de la lumière. Une sorte de silence accompagnant tous ses mouvements faisait peau sur son corps, le séparant du reste de son environnement. Comme un très bon danseur, il semblait saisir l’espace, le mettre en mouvement par son mouvement même. Il en prenait le centre. Le danseur est conteur du silence, gardien d’une mémoire non dite. Et lui était de plus conteur, griot de surcroit. Il était de cette noblesse africaine des griots qui a pour charge de transmettre la mémoire par la parole, de la véhiculer et de l’enchanter. Un maître du mouvement du temps immémorial. Alors cette distance, cette distinction visible en sa personne, ce n’est en réalité que de la proximité retenue. Une distance fonctionnelle due à la nécessité d’avoir du recul pour mieux transmettre, pour mieux communiquer. Ce dernier terme devant se lire en son sens premier de « mettre en commun ». Cette distinction que Baltasar Gracian eût honorée comme la plus belle démonstration de sa pensée, cette grâce paraissant naturelle, mais fruit d’un travail culturel aux origines ancestrales, était mise au service de la communauté. En Sotiguy Kouyaté l’homme et la fonction ne faisaient qu’un. Cette fonction d’artiste léguée depuis les temps les plus anciens était la permanence de son identité profonde. Il était pétri, sculpté, de cette glaise d’Afrique puisée dans les couches les plus fines de sa culture. Il portait l’Afrique en lui. Et partout dans le monde où il fut accueilli, il était chez lui comme un ambassadeur. La particularité d’une ambassade étant que le terrain sur lequel elle s’implante, est la propriété irréductible du pays accueilli sur la terre étrangère. Son corps était son ambassade. Non pas un immigré. Partout chez lui. Il allait de l’avant, et le retour n’était toujours qu’un nouveau pas devant. Et lorsqu’il racontait l’Afrique sans distinction aux enfants et aux adultes, ceux-ci devenaient africains.

J’ai eu la grande chance de le rencontrer et de travailler avec lui. En tant que directeur du Prisme, je l’ai reçu dans mon théâtre. Son indicible délicatesse, sa gentillesse illuminée d’une lueur de tendresse, faisaient merveille autour de lui. Et je vis des grands yeux d’adultes devenus des enfants, et des enfants bouche bée devenus des géants gober la mélodie de ses paroles et le suivre à travers toute l’Afrique comme le feraient les rats hallucinés du joueur de flûte de Hamelin. Je le vis jouer Shakespeare sous la direction de Peter Brook comme jamais personne ne l’avait encore joué. Et lorsque j’écrivis ma pièce Le ciel est vide pour la mise en scène de Bernard Bloch, j’ai évidemment immédiatement pensé à lui pour le rôle d’Othello. Je l’ai appelé sans hésiter. Mais il était déjà faible et souffrant. Et c’est son fils, Hassane Kouyaté qui nous a fait le plaisir et l’honneur d’accepter ce rôle qu’il a incarné avec puissance. J’ai appris par Hassane que loin d’être simples comédiens ou griots, lui, son père, et toute sa famille, œuvraient politiquement et socialement pour l’Afrique avec leurs propres deniers. Pas seulement d’un point de vue culturel (il a créé en compagnie de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, le Mandeka théâtre, structure de promotion et de création littéraire et artistique), mais réellement social. Hassane m’a informé du fait qu’ils ont crée une fondation au Burkina Faso pour accueillir des orphelins dont ils sont officiellement les parents. Plus de deux cents, paraît-il.

La mort de Sotigui, je n’en doute pas, ajoutera à ce nombre des milliers d’orphelins de cœur, pleurant la disparition irremplaçable de cette silhouette comme découpée sur le tableau du monde, laissant un blanc irrémédiable.

2 commentaires

  1. Oui,le monde se vide de sa substance lorsque des êtres tels que lui s’en vont…j’aimais tellement le voir apparaître sur mon écran, j’avais toujours l’impression d’accéder à un pays merveilleux, plein de sagesse, de profondeur et de douceur. Espérons qu’il veille sur nous de là où il va. Je suis de tout coeur avec sa famille, ses fils, à qui il va manquer cruellement.

  2. Bonjour,
    Notre père SOTIGUI ne nous pas quitté on lui juste forcer la main pour lui faire prendre sa retraite tant nécessaire pour lui dont il a refusé de prendre, maintenant PAPA tu peux te reposer en paix avec la conviction d’une mission accomplie tant pour ta famille qui se trouve dans le monde entier que pour ta vie professionnelle.
    Que le Bon Dieu te gratifie de son paradis éternel
    AMEN

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