Pipirit chantant

C’est toujours, quoi que j’en dise, une émotion. Une émotion qui se lève là, au cœur de moi sitôt que sous l’aile blanche se dessine l’aquarelle des eaux bordant les côtes tout en dentelles de ma Guadeloupe. Qui se lève là, au premier choc du train d’atterrissage sur le tarmac de l’aéroport Pole Caraïbe. Et cette puissante décélération dans le sifflement des turbines des rétro réacteurs qui vous écrase et vous fait tout petit, vous met en culotte courte. Et quand je sors, je ne suis pas au cœur de l’agitation climatisée de cet aéroport ultramoderne. Non, je descends là, par une passerelle branlante, dans le souvenir encore vivace du vieil aéroport du Raizet, recevant une nouvelle fois la bouffée de chaleur d’une île qui me prend dans ses bras. Et toujours mes yeux se lèvent là-haut vers les badauds du belvédère venus admirer ces fabuleuses machines à s’envoler qui déposent là leurs rampants à deux pieds encore tout étourdis, tout égarés. Toujours sans le vouloir, mes yeux recherchent des silhouettes qui reviennent du passé. Aurèle, toujours-là, toujours-là et à ses bras ma mère toute belle et jeune et en dentelles et chapeau blanc qui bat des ailes sous l’alizé. Elle n’est pas là, bien-sûr, elle est trop vieille maintenant et je la prie de laisser sa voiture, c’est moi qui la rejoins là bas, au bord de mer, au-dessus de l’église, sur les hauteurs ventées de la ville de Sainte-Anne. Et puis toujours le même rituel. La longue conversation dans le chant des grillons et des nouvelles de la famille et celles du voisinage, de madame Poumba et ses 97 ans au rire toujours tonitruant qui fait vibrer les planches de sa vieille case. On pleure une disparue, celle du coin de la rue. « Je l’ai vue le matin, elle était tout sourire et le soir elle nous a quittés avant même d’arriver à l’hôpital. Tu comprends ça, toi ? » me dit ma mère. Et le rétro freinage n’en finit pas de me faire tout petit. Et je suis avec elle dans ce salon mal éclairé. Sur la table, des lampes portatives. « C’est pour les coupures de courant et en cas de cyclone », m’explique-t-elle. Puis vient le temps des questions. Elle ne comprend pas bien l’intérêt de faire venir 40 écrivains dans un hôtel pour s’entretenir de littérature et de théâtre. Mais c’est bien quand même puisque je suis là. « Et ça ne te coûte pas de l’argent, j’espère ? ». « Mais, non, maman, mais non, rassure toi. » Elle allume la télé et, derrière elle j’ai encore rétréci. Ils passent une émission de variété à l’occasion du sommet de la francophonie en Suisse. Des chansons françaises des années 70. Joe Dassin et Nana Mouskouri, Claude François et Nino Ferrer. Les idoles de ma petite mère émue. Et on est là comme autrefois, comme dans cet HLM de Bondy Nord à regarder le Palmarès de la chanson avec Guy Lux.  C’est sa culture comme on dit et je respecte. Je la regarde s’endormir devant son vieux téléviseur et je l’embrasse sur le front avant de monter dans ma chambre.

J’écris ces mots au pipirit chantant, à l’aube (littéralement à l’heure où chante le coq). Sur  un ciel sombre aux multicouches vermeil, moutonnent des nuages noirs qui peu à peu rosissent. C’est drôle ici comme chaque matin est un vieillard semblant sortir du plus profond du temps pour peu à peu se déplisser et donner vie à la jeunesse d’un jour nouveau.

Laisser un commentaire