Société d’auteurs

L’idée m’est venue dans la douceur d’un beau matin d’automne 2008 à Timisoara après une longue soirée abusée de vodka.  Une idée aussi improbable que cette brume légère qui couvre les matinées de la rivière Bega coulant en contrebas. « Et si on organisait une réunion FENCE en Guadeloupe ? » J’ai senti comme un léger flottement dans l’assistance. Les yeux tournés vers moi disaient « Il divague, la vodka est tenace. » Mais toutes les bouches comme une seule femme m’ont dit « oh oui ! Quelle bonne idée ». Me voilà pris au piège. Je me connais, moi et mon horreur de reprendre ma parole. Elle était dite, la messe, et il n’y avait plus qu’à…  en sortir.  Un beau pari, un vrai défi. Mais qu’est-ce qui m’a poussé à penser ça ? De Londres à Paris, d’Istanbul à Timisoara et de Chemnitz à Glasgow, tous ces meetings de FENCE auxquels j’ai assisté, sont comme de vastes salons littéraires, nomades et  informels où se convoque la différence au cœur de l’unité plurielle de l’acte d’écrire pour le théâtre. Une manière européenne de faire société. C’est ça. FENCE est une société d’auteurs qui n’a pas pour objet de défendre des droits, qui ne revendique rien, rien d’autre que cette liberté fondamentale d’écrire, d’écrire non pour la société, mais dans la société, au cœur battant de la Cité. FENCE par son action fait exister l’auteur comme fait social. Il y reprend corps et chair, il échange et il transmet par voie orale. Le théâtre est une écriture de l’oralité, un chant à plusieurs voix qui s’écoutent entre elles et se confrontent. Tout le contraire de la posture autistique dans laquelle le sens commun enferme l’auteur qui parfois se laisse prendre à ce piège narcissique. Et justement, si l’on va quelque part, c’est pour rencontrer quelqu’un. FENCE est en soi un symbole ou plutôt la moitié du symbole qui est originellement une demi -pièce de poterie qui nous permet en la réunissant avec celui qui porte l’autre moitié de reconnaître celui qu’on cherche. L’autre moitié pour moi n’était d’emblée pas seulement la Guadeloupe, mais son environnement, toute la Caraïbe dont la seule rencontre en un seul point de tous ses éléments est en soi un symbole.

Il y avait, à ma connaissance, une association nommée ETC_Caraïbe (et dont précisément je fus un lauréat du concours qu’il organise annuellement) qui s’était donnée pour mission de mettre en valeur la richesse de l’écriture théâtrale contemporaine de la Caraïbe. Un saut en Guadeloupe, et voici la chose conclue : nous allions organiser dans le cadre de leurs secondes rencontres caribéennes, un meeting FENCE qui opérera la rencontre entre un continent et un archipel d’écritures. L’idée était là, mais il y avait loin encore de la coupe aux lèvres. Il nous fallait un lieu, un lieu d’excellence et en même temps qui autorise une résidence d’écrivains sur une semaine avec des lieux de travail, de rencontre, de débats. Un simple appel au propriétaire de l’Auberge de la Vieille Tour qui soutient déjà les actions caribéennes de ma compagnie Quai des arts, et la chose est faite : notre premier partenaire financier et technique, et pas des moindres, était trouvé. ETC_Caraïbe gérait l’approche des caribéens et moi, je devais organiser la venue d’auteurs en provenance de toute l’Europe. Il fallait trouver les moyens institutionnels pour ce faire.

On parle de société d’auteurs. Qui d’autre que la Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques (SACD) était par son action culturelle la plus immédiatement à même de nous aider. Cela fut fait avec la grâce qu’on connait aux jeunes femmes responsables de ce secteur de la SACD. La Ville de Paris, saisie par cette idée de recevoir les fruits de notre travail caribéen au cœur même de Paris, la ville la plus caribéenne d’Europe, nous apporta sa contribution, puis ce fut au tour du Ministère de l’Outre-mer de soutenir cette action outre-mer. Le tour était joué. J’avais enfin les moyens de mon rêve roumain du bord de la Béga. Drôle comment une idée un peu farfelue devient réalité. J’ai le sourire aussi large que le lagon en contrebas. Je me prépare à recevoir à l’aéroport mes vingt écrivains encore tout étourdis de turbulences et qui n’ont jamais encore posé le pied  sur ma terre natale. Et je me demande au fond si c’est pour eux ou pour cette terre là que pendant ces deux années je me suis acharné à arrimer ce rêve. Les deux sans doute, mon général.

Enfin, puisque la route du rhum est terminée et que les marques de toute espèce reprennent la mer, il n’y a pas de raison de ne pas hisser en bas de cette page les couleurs de tous nos partenaires. Quelques logos sans logorrhée, et plus un mot. Voila : le rideau se lève sur le 13ème meeting de FENCE et sur les 2ème rencontres caribéennes de l’écriture théâtrale.

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