Naissance d’une marionnette

Début janvier, nous commençons le travail de mise en scène de ma pièce Rue Saint Denis. Même si les quelques lectures sur table que nous avons organisées avec les comédiens dans le cadre du casting, ont commencé à donner chair au texte, et m’ont permis de mieux fouiller au coeur de ses entrailles, tout cela reste encore abstrait et les intentions scéniques flottent encore dans le monde des idées platoniciennes.

Bientôt donc commence l’épreuve du réel et la tombée dans le monde sublunaire comme disait Aristote. L’esprit devient anima, mouvement, conjugaison intime entre l’âme et le corps, le sprituel et le réel. Mouvement est ce qui donne vie, motion comme on dit en anglais, de même racine que motus, moteur ou encore motion en français qui signifie aussi mouvement. La motion divine, c’est la grâce, c’est à dire ce mouvement propre (motu proprio) qui exprime la grâce d’un individu exprimant la liberté de son corps. Ainsi le texte dans la mise en scène doit trouver sa grâce, motu proprio. Le but est donc bien de créer un monde par le mouvement et en mouvement, mais un mouvement propre. Une entité qui a sa vie autonome et qui de fait, échappe à son créateur. Petrouchka échappe à Fokine comme Pinocchio à Gepetto. Et on comprend la fascination de Kleist pour la marionnette qui, en action, exprime encore mieux que le danseur le mouvement de l’esprit. Mais la marionnette vit. Elle vit réellement. Plus, elle donne vie. C’est en tout cas ce que je perçois dans la naissance à petits pas de celle de la Mère Paulin, personnage à part entière de ma pièce Rue Saint Denis. Nous avions déjà la maquette du décor conçu et construit par Laurent Berman. Elle nous donne un espace, une ambiance, mais projetés dans une miniature, encore abstraits tant que ses 5 mètres de haut, ses 8 de profondeur et ses 10 de large n’auront pas pris possession de la scène. Mais la marionnette, elle, naissant grandeur nature, nous donne le la de cette chair, de cette vie qui prend corps sur la scène. Ombline de Benque sa créatrice nous la présente et nous restons bouche-bée. Elle est déjà si vivante. Voici le 7eme comédien de la troupe et c’est lui qui ouvre le bal, nous met en mouvement. C’est paradoxal mais c’est ainsi.

Puis viendront les costumes de Charlotte Villermet qui eux aussi ont leur vie. Ils doivent habiter le comédien autant qu’ils l’habillent. Ils sont une part indéfectible du personnage. Que seraitArlequin sans son manteau? Oui, les personnages vivent et c’est ce que nous dit d’emblée notre marionnette. Cette vie a une âme et un corps, ceux du comédien, alchimistes du verbe et du mouvement qui transmutent la matière scénique en l’or du drame. Le texte? Oui, bien-sûr le texte. Le metteur en scène? oui, bien-sûr le metteur en scène. Que serait le texte s’il n’était déjà habité par les personnages qu’il fait parler, s’il n’était conçu pour être porté par les comédiens qui s’en habillent? Que serait le metteur en scène si, comme le meilleur des cavaliers, il ne savait accompagner le mouvement du texte, des comédiens et des personnages pour mieux leur indiquer sa direction?

décor de Laurent Berman

Et en tant qu’auteur je vois dans cette marionnette mon texte qui prend déjà vie, et en tant que metteur en scène, je suis comme Gepetto qui fabrique son pantin et rêve en son for intérieur que ce sera un enfant vrai. Et c’est ce qui peut arriver de mieux à un auteur ou un metteur en scène: que cet enfant soit vrai, c’est à dire qu’il sorte des chemins imaginés et pré dessinés, qu’il prenne ses jambes à son cou et trace son bonhomme de chemin, le chemin de son indépendance en tant qu’oeuvre pour prendre le risque de toutes les rencontres avec le spectateur. C’est ce que me dit la marionnette de la mère Paulin dans son silence si éloquent.

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