DAK (ART) 1

Dimanche 12 décembre 22h, appel d’Oumar Ndao, directeur des affaires culturelles de la Ville de Dakar et commissaire pour le théâtre du Festival Mondial des Arts du Sénégal.

–       Votre avion part demain matin à 7h. C’est un avion spécialement affrété, pas besoin de billets.

–       Trop tôt. Impossible de joindre tout le monde. Mariann est en train de jouer quelque part à Paris.

–       Je te rappelle.

Dimanche 12 décembre 23h, nouvel appel d’Oumar :

–       Nous avons un autre avion qui décolle demain à 13h, Roissy Charles de Gaulle, Terminal 3. Se présenter à 11h à l’enregistrement

–       Ok, je te rappelle.

–       Dis moi si a priori c’est d’accord et tu confirmes plus tard.

–       Nous n’avons pas le choix, n’est-ce pas si on veut jouer avant le 18 ?

–       C’est exact.

–       Je te rappelle pour confirmer.

Lundi 13 décembre 2h du matin :

–       Allô Oumar ?

–       Oui, Alain. Alors c’est ok ?

–       Je n’ai pas réussi à joindre Mariann. Le reste de l’équipe est ok. Prenons le risque. Je lui ai laissé plusieurs messages.

–       Ok. Je vous mets sur la liste.

Lundi 13 décembre 7h 30 du matin. Message sms de Mariann.

–       Alain, je suis fatiguée.

–       Allô, Mariann. Tu viens ou tu ne viens pas ?

–       Je suis fatiguée, Alain. Je suis lasse.

–       Tu te reposeras dans l’avion, Mariann, on t’attend à l’aéroport à 11h. Désolé, nous n’avons pas le choix. Ou bien on annule.

Lundi 13 décembre, 11h du matin, aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Marie-Noëlle est déjà là, pimpante. Etonnée et ravie qu’on parte réellement. Je vais au comptoir d’enregistrement.

–       Bonjour, nous sommes la compagnie Quai des arts. Nous sommes 5. C’est bien ici l’avion spécial pour Dakar ?

–       Votre nom s’il vous plait ?

–       Alain Foix

–       Il n’y a pas d’Alain Foix sur la liste.

–       Regardez à Mariann Matheus, Alain Aithnard, Marie-Noëlle Eusèbe, Nanténé Traoré, Quai des arts.

–       Aucun de ces noms. Vous ne partez pas si vous n’êtes pas sur la liste.

–       Allô Oumar.

–       Oui, Alain, comment vas-tu ? Vous êtes à l’aéroport ?

–       Nous y sommes mais pas sur la liste nous ne pouvons pas décoller. Il faut absolument que nos noms soient faxés d’ici une demi-heure avant que le comptoir ferme.

–       Je ne m’occupe pas des réservations. Je vais voir ce que je peux faire.

Lundi 13 décembre, aéroport Charles de Gaulle, 12h 15.

–       Monsieur, je vous passe mademoiselle Sindjély Wade, la fille du Président du Sénégal.

–       La fille du président ?

–       Oui, c’est elle qui s’occupe de la logistique et des réservations.

–       Allô, monsieur Foix ? (La voix est douce, charmante, le ton clair et direct).

–       Oui, bonjour mademoiselle.

–       Vous êtes 5, c’est bien cela ?

–       C’est exact

–       Pouvez vous me confirmer les noms des passagers de votre groupe ?… C’est bien ça.  Vous pouvez enregistrer. Bon voyage.

–       Merci, mademoiselle, merci beaucoup.

12h 20

–       Vous êtes 5 où est le 5ème ? me demande-t-on à l’enregistrement.

–       C’est Mariann, on l’attend d’une minute à l’autre.

–       Nous fermons l’enregistrement à 12h 30.

–       Marie-Noëlle, tu as réussi à la joindre ?

–       Je lui ai laissé un message. Elle ne répond pas, ça peut être bon signe.

–       Tu es sure qu’elle vient ?

–       Mais oui, je lui ai parlé ce matin au téléphone. Elle est fatiguée, épuisée, mais elle vient.

12h 30

–       Monsieur, nous allons fermer l’enregistrement. L’avion décolle dans une demi-heure. Que fait-on ? (la voix du préposé est ferme, autoritaire, sans appel).

–       Elle arrive, laissez nous 5 minutes. (La responsable de l’agence d’affrètement de l’avion spécial, une femme charmante aux yeux et au sourire d’une grande douceur et d’un calme à toute épreuve intervient tout sourire)

–       Laissons leur 5 minutes.

–       D’accord.

–       Allô Alain.

–       Oui, Mariann, où es-tu ? Tout l’avion t’attend.

–       J’arrive je suis dans un taxi.

–       Loin d’ici ?

–       Sur l’autoroute. Je suis là dans 5 minutes. (mentalement, je multiplie par 3).

–       Elle est là dans 5 minutes, à peine.

–       Très bien, nous attendons.

12h 45

–       Mariann, je n’ai jamais été aussi  heureux de te revoir.

–       Et moi donc.

–       Dépêche toi, ça ferme.

19 h 30 heure locale , Aéroport de Dakar. Température extérieure 26°. Accueil chaleureux dans le salon VIP en compagnie du groupe des Concerts du Chevalier Saint-George avec lequel nous avons sympathisé pendant le voyage. Je suis frappé une fois de plus par la grâce, la beauté, l’élégance, la gentillesse et la noblesse naturelle des Sénégalais. Le moment est doux, mais il dure. Nous sommes fatigués. 3 heures plus tard, un car emporte le groupe imposant du Chevalier Saint-George au Novotel. Une fois de plus, nous ne sommes pas dans la liste. On nous fait savoir qu’il faut attendre. On viendra nous chercher.

–       Allô Oumar

–       Oui, Alain Comment ça va ? Bien voyagé ?

–       Oui, merci. Mais nous sommes encore à l’aéroport. Que se passe-t-il pour nous.

–       C’est compliqué. Nous cherchons un hôtel pour vous. Ne t’inquiète pas. On te rappelle.

Une heure plus tard, toujours rien. Personne ne peut nous donner la moindre information sur notre lieu d’hébergement. Mais tout le monde est calme. Tout sourire. « On s’occupe de vous » est le leitmotiv. Le car arrive enfin.

–       On va vous héberger au village des artistes.

–       C’est loin ?

–       Non, tout à côté.

–       C’est bien ?

–       Oh, oui, c’est convenable. C’est tout neuf, on l’a construit juste pour le festival.

22h 20, Village des artistes, Dakar.

–       Monsieur, dis-je, nous sommes fatigué, nous avons faim. L’équipe n’a pas mangé. Qu’est-il prévu ?

–       Laissez vos bagages, nous nous en occupons. Dépêchez vous, le restaurant ferme à 22h 30.

22h 29

–       Bonsoir

–       Bonsoir mademoiselle.

–       Viande ou poisson ?

–       Poisson. Accompagné de quoi ?

–       Pas d’accompagnement. Il n’y en a plus. Poisson seulement.

–       Bon, alors poisson, accompagné de rien, mais beaucoup de rien, un peu de sauce, s’il vous plait.

23h, arrivée dans les chambres. Des ouvriers travaillent encore. Le village n’est pas terminé. Les chambres non plus. Pas de drap, pas de serviette. On apporte des lits. Un concert pour perceuses, marteau et groupe électrogène accompagné de cornemuses berbères sonnant non loin annonce une nuit des plus agitées.

–       Allô, Oumar ?

–       Oui, Alain. Bien mangé ? Bien installé ?

–       Euh… Si ce n’étaient les perceuses, les marteaux, le groupe électrogène, les préfabriqués pas terminés, le manque  de literie et de serviettes, tout irait bien.

–       C’est juste pour cette nuit, on vous trouve quelque chose.

–       Et quand et où joue-t-on ? Ce n’est plus au théâtre national, paraît-il.

–       C’est compliqué, on  tout déprogrammé à cause des problèmes de transport et on reprogramme au jour le jour.

–       Nous avons besoin de certitude pour pouvoir bien honorer notre contrat et par respect du public.

–       Prends un taxi et viens me voir au Centre Culturel Français. Je t’y attends . On va faire le point.

Centre Culturel français, 1 heure du matin (après 1heure de taxi).

–       Alain, quel plaisir de te retrouver ici.

–       Et moi donc, Oumar.

–       Viens, je te présente des amis, ils viennent de Tunisie. Ils sont arrivés depuis plusieurs jours. Ils te raconteront et tu verras que par rapport à eux, tu es chanceux. Ils ont essuyé les plâtres. Ezzedine est directeur d’un théâtre école à Tunis. C’est dans sa troupe qu’une actrice s’est évanouie en scène ce soir.

–       Les artistes et leur art sont les premiers à pâtir des problèmes de l’organisation, dis-je (Oumar acquiesce tristement de la tête).

–       Et comment tu trouves le village ? Me demande Ezzedine.

–       C’est l’horreur, répliquai-je spontanément et très parisiennement avant de me reprendre : non, le terme est bien trop fort.

–       Tu dois être un très bon dramaturge, me coupe Ezzedine, car tu as trouvé immédiatement le terme approprié. Oui, c’est une horreur. Et ces constructions ! Tu crois que nous, Africains, on n’aurait pas pu faire quelque chose de beaucoup mieux ? Pourquoi demander aux Occidentaux de nous faire des choses pareilles et tellement plus chères ? C’est pareil pour l’organisation de ce festival. Si au lieu de faire appel à cet élu parisien qui a dépensé l’argent, le temps (plus de 8 ans, tu te rends compte ? Le festival était prévu en 2003 !) et détourné à son profit, paraît-il, des milliards de francs CFA (maintenant le Sénégal est en procès avec lui), si au lieu de cela, on avait fait appel d’abord aux Africains compétents (et il y en a, cela ne manque pas), tu crois qu’on en serait là ? Le président Wade a dû, il y a six mois demander à sa fille de tout remettre à plat l’organisation de son festival et nommer les commissaires comme Oumar qui font ce qu’ils peuvent pour sauver les meubles.

–       Est-elle compétente ? demandé-je ?

–       Oui, très compétente, répondent-ils en chœur.

–       C’est bien ce qu’il m’a semblé. Je l’ai eu peu de temps au téléphone à Roissy, mais ça se sent immédiatement. Mais pourquoi sa fille ?

–       Pour être sûr que l’argent ne sera pas détourné, me répond Oumar.

3 heures du matin. En rentrant dans le brouhaha nocturne du village des artistes, je me dis qu’encore une fois, c’est sur les épaules des Africains que retombent les problèmes issus de la relation tellement ambivalente et ambiguë entre l’Afrique et l’Occident. L’air de la mer toute proche me remplit les poumons dans la douceur du soir. Je me sens calme et serein. Je suis bien ici, si bien reçu malgré tout. Je pense à Oumar qui se bagarre. Oumar mon ami, tu as raison de tenir au fait que ton prénom est l’anagramme d’amour. Mais l’amour ne peut pas tout.

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