Dak (art) 4 Epervier de ma faiblesse…

Scène de l'Institut Français sous vol d'éperviers

Le ballet ennivrant de centaines d’éperviers dessine sur le bleu d’un ciel impassible la fin du dernier acte d’une journée de plomb. La stridence de leurs cris rythme les gestes mesurés des techniciens qui, depuis le point du jour installent la scène pour notre pièce enfin annoncée. Bien qu’épuisé, je suis d’un calme qui me surprend, tout pénétré que je suis de la sérénité de ce ciel qui recouvre Dakar d’un manteau de douceur. Le chant du muezzin s’est tu et le vert minaret se laisse enrober du chant silencieux des rayons de soleil mordorés. Il nous reste deux heures à peine pour implanter les lumières dans cette nuit qui nous vient à petit pas. Cette nuit est à nous. Cette nuit est la nôtre. Il me faut être maintenant d’une grande précision. Toute erreur est fatale pour le spectacle, tout malentendu nous est décompté sur le peu de temps qui nous est alloué. Il faut faire avec ce qu’ils ont et jamais essayer de tenter l’impossible. Peu de projecteurs, peu de possibilités de combinaison. Ici la découpe sur la table. Là la douche sur Angela Davis. Les gelatines ambres sont trop sombres. Ca ne fait rien, enlevons les on fera en blanc avec moins d’intensité. Les palmiers en pot empruntés dans le jardin d’à côté feront un beau rideau d’arrière scène signifiant le parc de la maison de Gerty. Les douches diagonales sur leurs palmes sont du plus bel effet. D’un seul coup, le mouvement des éperviers s’accélère, une vraie frénésie. Le ciel s’épaissit. Ils crient la nuit qui vient et saluent les derniers rayons du soleil avant de venir se poser en grappes sur les branches de l’immense fromager qui coiffe la scène. Le drap blanc qui recouvre la table et que j’ai fait repasser garde encore des plis qui joueront le jeu d’un théâtre pauvre et voulu ainsi. Une tache de fiente d’éperviers le macule déjà. On craint qu’un nouvel envol, un ernier baroud de ces guerriers du ciel ne vienne bombarder cette nappe de manière définitive. Le vent souffle, et dans le mauvais sens. Il faut absolument soutenir la voix des comédiens par des micros posés discrètement à fleur de scène. Le réglage du son est délicat. Effet par effet nous avançons. Ces techniciens sont formidables. Jamais un mot plus haut que l’autre. Ils cherchent immédiatement une solution la plus ingénieuse possible avec leurs faibles moyens techniques. Le temps passe trop vite. Il n’est plus temps. Nous n’aurons pas de filage technique. Je décide de l’annuler. Il est primordial que tous les effets soient le mieux calés possible. La fébrilité monte. Problèmes de son. Le lecteur ne lit pas des passages. Heureusement, ce n’est que du vent enregistré. On décale le minutage. Pas question de mémoriser les effets et leur durée. On fera à la main en improvisant sur le jeu. Je ne suis pas régisseur, mais je commence à prendre un peu d’assurance à la régie entre le régisseur son et celui de la lumière. Je me dis que ça ira. Mais je redoute encore les effets qui ne partent pas au bon moment. On essaie encore le niveau du son. On lance le premier passage du vent, c’est le cyclone et les éperviers s’envolent tout à coup, terrifiés. Des effets lumière ne fonctionnent pas. Tant pis, on simplifie. Il reste un quart d’heure avant le début du spectacle. Les comédiens sont déjà en scène, concentrés derrière les panneaux de bois qui nous servent de rideaux de fond de scène. 21h 15. On n’a qu’un quart d’heure de retard. Une vraie performance. Le public est venu nombreux. Top départ. Noir, son 1, effet lumière 1. Ca marche mais on n’entend pas Marie Noëlle. « Si ce n’est le vent… » dit-elle. En effet, c’est le vent qui te souffle ta voix, la bouscule, la bouleverse. Le technicien son ne comprend pas tout de suite mes gestes. On a perdu 3 ou 4 phrases si on est sur le haut des gradins. Ouf, on l’entend. C’est parti. Effet 2, effet 3. Ca roule. Mais je vois des entrées et des sorties de spêctateurs qui perturbent. On m’avait prévenu. C’est ainsi ici. Des spectateurs qui croyaient être venus à un concert s’en vont tandis que d’autres arrivent. Un militaire passe et repasse plusieurs fois devant la scène pendant qu’Angela dit; « Je suis communiste et j’en suis fier ». Je vois un photographe qui s’approche de la scène.

Installation technique

Catastrophe! Il flashe et Marie Noëlle est en avant-scène. Je sais qu’elle va très mal le prendre. Je fais signe au régisseur lumière d’intervenir. Il a le temps. Le prochain effet est dans un peu de temps. Il descend les marches quatre par quatre pour interpeler l’olibrius qui, heureusement s’exécute. Il remonte essouflé. Il était temps. Effet 4. Le public semble concentré, accroché. Je suis nerveux. C’est toujours ainsi lorsque je suis à la console. J’entends tout, je vois tout, le moindre mot échangé dans le texte me fait sursauter et j’analyse pour voir si le spectateur a compris tout de même et si cela n’a pas d’incidence sur le reste du texte. Non ça va, c’est juste quand même pour l’essentiel. Il y a toujours des râtés mes c’est le spectacle vivant. Partout c’est du bruit. On entend la ville qui fait monter sa musique nocturne, le vent réel qui s’y met, une porte qui bat pas loin, quelqu’un dans la régie qui fait tomber un lourd objet. Ca suit quand même. Enfin, j’espère. Je suis toujours étonné par la capacité de concentration du public. J’ai l’impression que moi-même je ne saurais pas. Plus que quelques répliques et mon calvaire se termine. Ne pas rater la fin et le dernier effet son surtout. Toujours un problème à caler. Bon c’est lancé. Un peut trop tôt peut-être. Marie Noelle se débrouille avec. Sa passe. Sa voix n’est pas couverte par le son du cyclone qui monte. Pas encore. Noir, longtemps, près d’une minute. La nuit de Dakar sous un cyclone guadeloupéen. C’est fini. La lumière se rallume trop vite, mais tant pis, c’est fini. Applaudissements. Le public  a aimé visiblement. Trop nerveux pour vraiment apprécier. Je ne suis pas dans la chose, dans cette chose que j’ai écrite et que je viens de diriger en régie. Trop d’événements à gérer pour goûter ce moment. Je remercie le pûblic, je remercie encore une fois Oumar Ndao sans lequel nous ne serions pas ici, pour son amour de l’art et son respect des artistes. Je dis ce que j’ai à dire d’une organisation trop peu préparée et dont l’impréparation met les artistes en difficultés. Je le dis. Peut-être ne devrais-je pas. Mais il faut que le public soit toujours considéré autrement que comme des simples spectateurs. Ce sont d’abord des citoyens et le théâtre est art de citoyenneté. « Il faut dire, informer, ne pas cacher… » dit Gerty Archimède. Oumar me congratule. Il est heureux du spectacle et me félicite pour ce que j’ai dit. Merci Oumar. Je suis aussi venu pour toi.

Un commentaire

  1. J’ai suivi le récit de vos « mésaventures » et je dois avouer que vous avez été mis à rude épreuve. Bon retour à Paris et bon repos, j’espère.

Laisser un commentaire